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ARDITI, METIN. Le Turquetto. Arles: Actes Sud, 2011. ISBN 978-2-7427-9919-0. Pp. 280. 19,50 a. La peinture de la Renaissance italienne se trouve avec ce roman soudainement augmentée de plus de trois mille œuvres. Elles ont toutes pour auteur un certain Turquetto, enfant de Constantinople devenu élève du Titien, qui sut ouvrir le cœur et les yeux des grands de Venise, et dont l’art et la réputation atteignirent son apogée en l’an 1576. N’allez pourtant pas chercher d’informations sur cet artiste dans les encyclopédies ou sur la Toile: Arditi en a inventé l’existence, prenant pour point de départ l’hypothèse qu’une peinture attribuée au Titien—L’homme au gant—ne serait pas de la main du maître. À partir de ce point d’ombre, mystère entrouvert par la science d’aujourd’hui, et de l’attribution à un peintre imaginaire de cette œuvre réelle—visible au Louvre—toute une vie se déploie entre les deux rives de la Méditerranée. La question ne semble pas tant de savoir qui était vraiment le Turquetto, mais ce que ce personnage imaginaire peut représenter pour le lecteur d’aujourd’hui. Né juif d’un père travaillant au marché aux esclaves d’Istanbul, le jeune garçon est très vite confronté aux interdits de la représentation humaine qu’impose sa religion et celle des musulmans. C’est pourtant d’elles qu’il apprend à voir et à tracer avec précision sur le papier les courbes d’un visage et d’un corps. Son départ précipité de la capitale de l’Empire ottoman à la mort de son père et son installation dans les palais de la Sérénissime sous les traits et le nom d’un chrétien couvrent très peu de pages dans ce récit. Le personnage apparaît, plus de quarante ans plus tard, au faîte de sa gloire. On lui reconnaît alors d’être un génie dont l’art rivalise avec les plus grands. Capable de percer les plus profonds sentiments de ses modèles, il ne s’arrête pas de produire, peignant tout à la fois “en artiste et en forçat” (99). Vite, pour tout Venise, il devient celui par lequel peuvent s’assouvir les plus violents désirs de gloire. Pour Angelo Gandolfi, à qui il commande la plus grande et la plus belle de toutes les Cènes, il sera le moyen de trouver une renomm ée qui prenne assise sur les valeurs fondamentales de l’Église. Une manière en creux de souhaiter que cette République se ressaisisse. L’inauguration du tableau au milieu des prélats et des pauvres marque le point à partir duquel la réputation de l’artiste devait s’étendre jusqu’à Rome; mais elle fait basculer à nouveau la vie du peintre. Pourquoi s’est-il représenté en Judas? Que trahit-il? Qui trahit-il? Quel apaisement trouve-t-il à être son propre délateur? La perplexité est grande, mais pour peu de temps: sa judéité découverte, son hérésie mise à jour, le Turquetto est arrêté et condamné à mort. Son œuvre sera brûlée en autodafé (une manière rusée pour le romancier de soustraire cette dernière à la réalité contemporaine). Le récit, qui n’en est alors qu’à mi-chemin, prend un autre tour. À la quête de reconnaissance chez le Turquetto succède celle, beaucoup plus intérieure mais non moins agitée, de sa véritable place dans le monde. L’auteur emprunte au roman d’aventure et aux fresques historiques ses plus belles armes. Mais c’est également un conte philosophique, à forme circulaire, où le destin d’un homme se projette pour revenir au point de départ. Plus que tout sans doute, parcourt en filigrane de ce roman une interrogation sur la filiation, sur ce qu’on doit à ses origines, et pour finir sur la forme que peut prendre le bonheur et la sérénité. Le Turquetto manie la pudeur et la sensualité de mani...

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