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Bataille, Christophe. L’expérience. Paris: Grasset, 2015. ISBN 978-2-246-81164-0. Pp. 82. 12 a. Au début des années 60, la France procède en Algérie à des essais nucléaires dont Bataille décrit avec justesse les conséquences dramatiques sur le narrateur du roman, les hommes de son groupe et aussi, bien plus tard, sa famille. L’écriture est tendue, à l’instar des différentes séquences de ce livre court mais très percutant. Le personnage principal, anonyme, est un homme de soixante-dix ans qui aimerait, mais en vain, s’interdire de penser au jour où on a fait de lui une simple statistique. L’éclair, le moment fatidique où tout a basculé pour le jeune homme de vingt et un ans qu’il était à l’époque, imprègne chacune des pages de ce récit. L’auteur s’empare d’un fait historique pour relater sans ambages l’existence d’un témoin de la catastrophe. La mémoire, le corps et l’âme du protagoniste sont à jamais entachés et il ne peut rien faire pour mettre aux oubliettes le trop envahissant souvenir de l’expérience. D’un point de vue purement politique, l’opinion de l’auteur ne fait aucun doute, mais du point de vue de la narration, les constants va-et-vient du narrateur ne font que rendre plus intense et plus vivante une journée du mois d’avril 1961 qu’il aurait choisi de ne pas traverser, si on lui en avait donné la possibilité. Pourtant, à un moment du récit, il semble fier d’avoir aidé son gouvernement à évaluer le niveau de radiation subi par un groupe de faux volontaires afin de définir ce qu’on appelle des distances de sécurité. Bataille, dans son écriture de l’intime, saisit de façon remarquable la contradiction: l’expérience, c’est aussi la science en action. “L’oubli est diabolique, le souvenir est diabolique” (77), voilà le dilemme dans lequel se sent pris le protagoniste qui, pour avoir été exposé à de si fortes doses de radiation, n’en reste pas moins lucide et fort conscient des innombrables paradoxes de sa situation. Arrivé au crépuscule de ses jours, ce personnage est à la fois terriblement inquiet et presque ravi de penser et de (se) voir.Après être passé de l’autre côté, ou presque, revenir dans le monde des vivants n’est pas une sinécure. C’est un défi de tous les instants quand on n’a personne à qui confier ses peurs, ses doutes, ou même le peu d’espoir qu’il reste face aux circonvolutions de l’histoire, la sienne, et aussi celle de toute une population qui aura été prise au dépourvu. Dans ce livre entièrement bâti sur une émotion parfois proche de l’implosion, Bataille réussit l’incroyable pari de réhabiliter les irradiés rayés de la carte et des statistiques, ceux que l’on appelle aussi quelquefois les sacrifiés du nucléaire français. L’écriture est tranchante, sans concession mais elle évoque aussi, ici et là, le silence assourdissant qui enveloppe ceux qui, en quelques minutes irréelles et presque majestueuses, ont vu leur mort de beaucoup trop près. Western Kentucky University Karin Egloff 256 FRENCH REVIEW 89.3 ...

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