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Reviews 233 (27) en quête d’un “menu trésor” en calquant l’élégance, les joies et les nombreuses déceptions de l’artiste. Auteur et personnage sont épris de liberté, de musique et d’écriture franches, tout en se faisant un devoir de cultiver leur opacité personnelle. On en oublierait qui est l’objet de ce témoignage en forme de long poème en prose. Le désir de symbiose de l’auteur est tel qu’elle tombe dans le dilemme classique du biographe: comment laisser à son sujet sa liberté sans renoncer à la sienne? Dans la dernière lettre écrite à sa femme, Jaubert explique qu’il l’aime tant qu’il éprouve le désir de devenir l’autre. On peut relever en filigrane dans cette déclaration celle que prononce Desbiolles à propos de son personnage tout au long du livre: “J’oublie tout et je me souviens de lui”(99). Ce roman forme un fin mélange de légèreté et de gravité, assorti d’une mélancolie qui n’exclut pas le rire. L’auteur y exprime un désir ardent de faire de soi un don au bout duquel il faudra se résoudre à lâcher la main de celui dont on aura voulu (re)vivre le rêve. Western Kentucky University Karin Egloff Énard, Mathias. Boussole.Arles: Actes Sud, 2015. ISBN 978-2-330-05312-3. Pp. 400. 22 a. Bonne nouvelle pour cet auteur de dix romans acclamés par la critique: Boussole a remporté le prix Goncourt 2015. Bonne nouvelle, car un Goncourt se vend systématiquement aux environs des 400 000 exemplaires. Il ne s’agit pourtant pas d’un livre “grand public”, comme l’a suggéré Bernard Pivot après l’attribution du prix, précisant qu’il “faut avoir l’audace d’écrire un livre comme celui-ci et il faut avoir l’audace de le lire”. En effet, si notre “Balzac érudit” n’hésite pas à épater la galerie en truffant sa page de noms propres et de thèses universitaires, c’est qu’il s’adresse à un lecteur prêt à se laisser porter par un autre souffle, un autre rythme, à réfléchir, mais aussi à pérégriner et à se perdre entre l’Occident et l’Orient. Le récit se déroule en une longue nuit d’insomnie, de 23 heures à 7 heures, pendant laquelle Franz Ritter, professeur de musicologie à l’université de Vienne, se dit au fil de ses divagations (hantées de travaux universitaires, de soucis de santé et de souvenirs de Sarah, son amour “manqué”):“Voilà,je deviens fou.Je deviens complètement fou.Va te faire une infusion, un sachet de mousseline qui te rappellera les fleurs séchées de Damas et d’Alep, les roses d’Iran” (198). Sa recherche du temps perdu le transporte en Orient, où il a effectué des recherches en compagnie de sa chère Sarah. Et c’est elle, justement, qui lui offrira cette boussole qui ne marquera pas le Nord mais, beau tour de passepasse , l’Est! Lors de cette nuit viennoise, Franz Ritter, égaré dans son nuage opiacé, occupe ainsi de longues heures à méditer sur le passé, le présent et le futur de cette partie du monde fantasmée par les orientalistes du dix-neuvième siècle (“L’Orient est une construction imaginale, un ensemble de représentations dans lequel chacun, où qu’il se trouve, puise à l’envi” [276]) et par les idéalistes comme Sarah (pour qui “l’orientalisme doit être un humanisme” [313]). Il y sera aussi question des effets dramatiques du colonialisme sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient: “Des victimes européennes, des bourreaux à l’accent londonien. Un islam radical, nouveau et violent [...] et les seules victimes qui comptent sont en fin de compte des Européens. Pauvres Syriens. Leur destin intéresse bien peu nos médias, en réalité”(225). Et malgré de douloureuses longueurs, nous trouverons, perdue entre des pages parsemées de “lubie littéraire, la dernière tocade d’un érudit”(303) et de“bavardage gauche”(367), une prose des plus subtiles:“L’être est toujours...

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