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Libertalia par Mikaël Hirsch (review)
- The French Review
- Johns Hopkins University Press
- Volume 90, Number 2, December 2016
- p. 219
- 10.1353/tfr.2016.0037
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Reviews 219 Hirsch, Mikaël. Libertalia. Paris: Intervalles, 2015. ISBN 978-2-36956-020-3. Pp 141. 15 a. Ce petit roman fourmille d’événements historiques aussi bien que d’anecdotes que vivent ses deux personnages principaux, Fons et Baruch, embarqués dans une odyssée dont le seul but a pour nom Liberté. Leur marche vers Paris comme“optants” venus d’Alsace après la défaite de 1870, constitue aussi et surtout une démarche, un long questionnement sur les promesses révolutionnaires. Si la trame du roman est chronologique, de leur arrivée dans la capitale à l’Exposition universelle de 1889, les allées et venues des deux protagonistes ressemblent à un jeu de piste où la liberté“n’est pas une idée, mais bel et bien un endroit” (22). L’un, Alphonse, nourri de livres d’aventures exotiques, rêve de cette liberté par le progrès et la technique, qui fleurissent justement à cette époque, ce qui le conduit tout naturellement à la Franc-maçonnerie (65). L’autre, l’éternel “autre”, le Juif, devenu Bernard, “ivre de liberté”, loin des contraintes communautaires de sa petite ville alsacienne, rêve de se fondre dans la masse, “se mêlant à la foule, changeant son nom, mangeant du porc et travaillant le samedi”(70). Les deux hommes voient dans la construction de la Statue de Bartholdi le symbole de leurs aspirations. Cependant cette statue n’est qu’un avatar parmi d’autres de cette Liberté garantie théoriquement par la“technique et la volonté”(50), ouvrant la porte à une société d’avant-garde (111), comme l’est aussi le canal de Panama ou la conquête des colonies comparée à la découverte de l’Atlantide. Le plus bel exemple restant, pour les deux hommes, celui du Libertalia, nation anti-esclavagiste de pirates et de prostituées, tous égaux et vivant leurs différences en toute liberté (87). Hirsch associe ces élans et désirs de manière magistrale, bâtissant des passerelles entre les idéaux politiques, les changements sociaux de cette fin de siècle et le destin des deux hommes unis par leur soif d’une vie plus libre et fraternelle. Quand vient le temps de la désillusion, ils ne peuvent que constater que cette liberté est élusive: ni la négation de leurs racines, ni le triomphe de la science, ni Paris et sa modernité ne les rapprochent de Libertalia, et semblent même les en éloigner. L’acharnement de leurs contemporains à traverser les déserts et les isthmes ou à propager leur “mission civilisatrice” aboutit à l’inverse des idéaux révolutionnaires qu’ils étaient censés promouvoir, à l’image de la fameuse statue “dépecée” (128) et partie à New York en pièces détachées. La quête de liberté est-elle “contre nature”? (103), se demande Alphonse. Réunir autant d’éléments et de figures célèbres ou anonymes pour les placer au cœur d’une interrogation visant cette seule notion de Liberté tenait de la gageure. Hirsch s’est emparé de cette idée à bras-le-corps, il la sonde sans relâche et nous laisse finalement méditer sur la fragilité des mots “qui en devenant accessibles à tous, finiss[ent] par s’user à force d’être prononcés” (139). La dernière page du roman le confirme, Libertalia n’est bien que cela, un beau rêve, une utopie. Earlham College (IN), emerita Annie Bandy ...