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Le Gall, Marie. Mon étrange sœur. Paris: Grasset, 2017. ISBN 978-2-246-86172-0. Pp. 214. Alors que La peine du menuisier exhumait des secrets familiaux, ce troisième roman sonde le destin de l’“étrange sœur” de Marie Le Gall, le lien très fort qui a uni l’aînée à sa cadette de dix-neuf ans, et explore la lumière noire que la petite a vue dans les yeux de la grande, dans leurs“yeux jumeaux” (138). La Sœur, en détrompant le médecin qui prédisait une mort-née, “a raté sa mort. [...] Elle appartient à un autre monde, territoire mouvant où l’on flotte, passage intermédiaire entre le réel et l’invisible”(32). Handicapée. Innocente, comme on disait alors. Mais encore:“volubile, fiévreuse, exubérante et exaltée, [...] imprévue et imprévisible, désarmante, volcanique, féroce ou débordante d’amour” (83), surtout envers l’enfant venue si tard, peut-être réparatrice. Les mariages, souvent célébrés dans l’urgence dans la Bretagne catholique des années 1950, mettent tant en liesse la Sœur qu’elle joue à la mariée, voilée et embijoutée, avec sa jeune complice. La mère contient ses débordements, sa folie, à force de coups de ceinture et lui évite ainsi l’asile. Les parents se voient toutefois contraints de l’envoyer à vingt-quatre ans chez les sœurs d’où elle revient aux vacances jusqu’à ce jour de mai 1962 où une “main dégoulinante de vertu” (108) l’empêche de se jeter dans le soleil et la condamne à un destin de séjours en maisons spécialisées entrecoupés d’internements à l’asile. Les jeux s’arrêtent, leur vie s’achève. La narratrice, “gardienne toute-puissante de [s]es aînées” (106), finira tutrice de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer et de la Sœur, décédée en 2005 à soixante-neuf ans. Si l’attention s’est déplacée du Menuisier, toujours aussi taciturne et distant, à la Sœur, Le Gall pratique encore, devant l’insuffisance des souvenirs, le mentir-vrai. Elle invente le vrai en interrogeant les photos. Ainsi, que cache sa photo de baptême où la Sœur et le jeune Paul,fils d’Yvonne Botrel,ont remplacé ses parrain et marraine? Qu’indiquerait ce prénom d’Yvonne qui est aussi le sien? L’adulte formule une hypothèse, une vérité que l’enfant a toujours sue, a toujours détectée dans les lacis de mensonges maternels mais qui, tue, l’a laissée bancale et boiteuse. Ce puissant récit de vie romancé est alors tout autant que La peine du menuisier un travail d’identité et de reconnaissance, une recherche vitale. Même si les mots ne pourront jamais rendre la voix et le regard de la Sœur, il pose avec force et tact la question de la survie, quand la vie n’est plus la vie et, à ce titre, laisse le lecteur tout aussi perclus que le premier roman. Nous devons alors prendre sur nous-mêmes et nous en rappeler les passages lumineux—la force vive qu’était la Sœur—et le lire pour ce qu’il est, une poignante lettre d’amour. Eastern Connecticut State University Michèle Bacholle-Bošković 244 FRENCH REVIEW 91.3 ...

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