Les visages pâles by Solange Bied-Charreton (review)

Ce troisième roman d'une auteure de talent née en 1982 brosse le portrait d'un milieu bien représenté autrefois, mais absent aujourd'hui en littérature depuis une bonne génération. Solange Bied-Charreton met en scène une famille bourgeoise française qui cherche sans grand succès sa place—personnelle, morale et économique—dans une société en plein mouvement. Narré à la troisième personne, souvent à travers la perspective d'un personnage à la fois, ce récit rétrospectif et astucieusement drôle relate la vie de différents membres de la famille Estienne à l'époque contemporaine. Du dix-neuvième au vingtième siècle, les Estienne ont fait grande fortune dans l'industrie, mais leur succès apparent semble être une version exsangue ou pâle des générations précédentes, d'où le titre du roman. À l'exception de quelques retours en arrière, l'action se passe sur une période de plusieurs mois, entre l'automne de 2012 et l'été de 2013, époque pendant laquelle ont lieu des manifestations contre la légalisation du mariage homosexuel, des événements récurrents qui ponctuent la trame de l'intrigue. Cependant la narration s'ouvre comme elle se clôt sur les deux soeurs et le frère Estienne (Lucille, Hortense et Alexandre) qui quittent Paris pour visiter la maison ancestrale dans le Gers. Ils s'y rendent une première fois pour les obsèques du grand-père, et une deuxième fois pour récupérer quelque chose du mythe familial ébranlé. La disparition du grand-père et la vente potentielle de sa maison occasionneront une remise en question des assises des différents membres de la famille. Entre ces deux voyages, nous suivons le regard remarquablement perspicace de Bied-Charreton dans sa mise à jour des aventures et attitudes inconsciemment égoïstes des personnages, que ce soit dans le monde des affaires, dans celui de la politique sociale ou dans leur vie intime. Grâce à l'étalage habile de ce comportement inconscient, et malgré les déconvenues cumulées des personnages au cours des pages, ressort un humour subtil, mais pas trop ironique, sous la plume de notre auteure, et se révèlent parfois des pages saisissantes sur la société de consommation, le milieu des start-up et son jargon creux. Les visages pâles est un roman ambitieux et réussi qu'il serait intéressant d'exploiter dans nos cours de littérature dans le cadre de l'étude d'une fresque aussi divertissante que tristement exacte de toute une tranche de la société contemporaine.