- Un si beau diplôme! by Scholastique Mukasonga
Qui mieux qu'une auteure prénommée Scholastique pourrait écrire un récit ayant pour titre Un si beau diplôme!? C'est la gageure du livre de Mukasonga, Rwandaise d'origine Tutsi, de nous passionner au sujet de ce diplôme. Non pas simple "bout de papier" (145) mais "passeport et talisman" (12) mentionné presque à chaque page et souvent plusieurs fois. Un beau diplôme en effet, cet Idipolomi nziza (11) qui sera le sésame pour obtenir une profession, et en même temps "sauf-conduit dans les périls" (47) pour "un Inyenzi, un cafard" (155), l'injure réservée aux Tutsi. L'exploit ici c'est d'arriver à tenir en haleine le lecteur tout au long du difficile parcours jusqu'à la remise du fameux diplôme où la tension est telle qu'on se demande jusqu'au bout si Scholastique va finalement l'obtenir. Il faudra qu'elle le tienne dans ses mains pour y croire. Ses tribulations ne sont pas pour autant finies puisqu'elle sera dénigrée dans un pays où le nom Tutsi lui ferme les portes, puis en France où un diplôme obtenu dans un pays africain paraît n'avoir aucune valeur. Les rebuffades continuelles qu'elle essuie en arrivent à lui faire détester ce diplôme (128). Une opiniâtreté à toute épreuve la conduira à forcer les barrières et à finalement exercer la profession pour laquelle elle s'est préparée pendant de si longues années. Le récit tumultueux s'inscrit sur une toile de fond riche de portraits et d'anecdotes recueillis au fil de ses pérégrinations, mais aussi de bouleversements qui lui donnent une dimension tragique. Dès le départ, "la marque infamante: Tutsi" sur sa carte d'identité (13) annonce déjà les calamités qui vont suivre. D'abord l'exil au Burundi pour gagner toute chance de poursuivre ses études. Là, Scholastique rejoint les "réfugiés de la première vague" (79) de 1960. On l'interroge avec mépris: "De qui es-tu?" (79), ou pire, avec suspicion: qu'a-t-elle bien pu faire "pour échapper à la machette pendant dix ans?" (80). Après son départ en France, les terribles événements du Rwanda se précipitent, confrontant dans un horrible bain de sang les ethnies et les intérêts politiques. Le massacre des Tutsi de Nyamata sera "le prélude au génocide de 1994" (12) où ses parents et trente-sept membres de sa famille seront assassinés. Cependant, aucun doute chez l'écrivaine: la langue française, la solidarité féminine dans la joyeuse "communauté du cul-de-sac" (63), son travail pour l'UNICEFet la création du "phalanstère" des femmes (98), toutes ces expériences n'ont fait que fortifier sa détermination à poursuivre ses études, à aider ses camarades à faire de même et à miser l'avenir sur l'éducation des filles, comme son père l'avait fait pour elle afin de "sauver ses enfants par l'école" (175). La tonalité inévitablement douce-amère du retour à Kigali se termine toutefois sur une note optimiste quand on lui fait remarquer que la statue récente représente une femme rwandaise tenant par la main une petite fille: "on dit qu'elle la conduit à l'école" (182). Cette fin préfigure ainsi la renaissance du nouveau Rwanda. [End Page 244]