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Reviewed by:
  • Le privilège de Simone de Beauvoir by Geneviève Fraisse
  • Flavien Falantin
Fraisse, Geneviève. Le privilège de Simone de Beauvoir. Gallimard, 2018. ISBN 978-2-072-79156-7. Pp. 160.

En 2008, cet essai s'interrogeait sur le concept beauvoirien de "Privilège" dans l'introduction du Deuxième sexe. En 2018, Fraisse prend le temps d'y ajouter une deuxième partie, intitulée "Trois lectures", qui rassemble des textes extraits du Magazine Littéraire et de différents colloques. À cette occasion, l'auteure revient sur le quiproquo suscité en 2008 par le terme même de "privilège". Ce dernier ne devant pas s'entendre comme un octroi d'Ancien Régime mais bien plutôt comme une conséquence propitiatoire de la conquête de l'Histoire par les femmes, un "partage" et non une "prérogative" (138). Ce terme de "privilège" apparaît notamment comme [End Page 200] l'épicentre d'une controverse actuelle sur Beauvoir aux États-Unis, en ce qu'elle incarnerait "la reine des abeilles" (139), cette femme blanche, bourgeoise et surtout pionnière qui s'est donné pour mission de théoriser et de parler au nom de toutes les femmes dans leur grande diversité. Sans jamais les traiter frontalement, Fraisse renvoie dos à dos les critiques modernes par l'explication du contexte historique qui a pu faire émerger une philosophe comme Beauvoir. Pour comprendre son féminisme comme un universalisme, il faut d'abord se débarrasser de toute contingence biographique car, selon Fraisse, Beauvoir avance avec méthode. Le septième chapitre contient à cet égard une comparaison entre l'introduction du Deuxième sexe et le Discours de la méthode de Descartes. Délesté du péché d'orgueil biographique cartésien, Le deuxième sexe place la femme comme "sujet théorique" de son livre (112). Beauvoir se confie certes dans ses mémoires mais pas dans l'essai de 1949, si bien que Fraisse analyse le célèbre "je suis une femme", ce fameux "je suis, donc je pense", comme un pendant féministe et universel du cogito cartésien (111). Il faut encore entendre ce cogito féminin comme un acte libérateur, intervenant avec trois siècles de décalage. Le point de vue généalogiste de Fraisse permet de revenir sur une trajectoire historique conflictuelle que l'on a successivement appelée en fonction des époques "la Querelle des amyes" ou encore "la Querelle des femmes" (120). Cette trajectoire mène à Beauvoir, fruit d'un instant historique favorable qui peut se défendre avec des armes nouvelles, telles que la démocratisation des études universitaires. Le chapitre "Correspondante de guerre" vient justement montrer comment Beauvoir réfléchissait la guerre des sexes. Elle se demandait si l'inégalité entre les sexes provenait d'une malédiction des origines ou d'un stade temporaire, tandis que Fraisse parle d'une "guerre répétitive" et d'un "débat infini" (135). Toutefois, il aurait été intéressant de lire ce chapitre à l'aune des récents mouvements #metoo et #balancetonporc qui mettent l'accent sur les oppressions inchangées faites aux femmes. Alors comment endiguer ce phénomène? Fraisse explique que "l'issue est collective mais elle se fera en chacun" (135). En d'autres termes, cette armistice civilisationnelle se trouve dans la prise de conscience des deux sexes et dans la fabrication de nouveaux réflexes sociétaux, et non par une énième forme de dialectique hégélienne.

Flavien Falantin
University of Tennessee, Knoxville
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