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Reviewed by:
  • Le cénotaphe de Newton by Dominique Pagnier
  • Jean-François Duclos
Pagnier, Dominique. Le cénotaphe de Newton. Gallimard, 2017. ISBN 978-2-07-271680-5. Pp. 593.

Un fort tropisme germanique domine l'œuvre du poète et romancier Dominique Pagnier. Plus son regard se porte à l'est, au-delà de la frontière, plus il semble s'élever de la surface de la Terre jusqu'à prendre le point de vue poétique et synthétique des aérostiers d'autrefois. Mais tout commence dans ce roman par le vol d'un autre type. Le narrateur s'approprie la paternité d'une étude que consacre Manfred Arius, beau-frère allemand de la seconde femme de son père, au théâtre viennois. Voilà le jeune étudiant français doté à peu de frais d'un mémoire de maîtrise mais lesté d'une très lourde dette morale. Le récit se conclut quant à lui par la découverte d'un autre document: la vie d'Arius minutieusement compilée par Götz, un agent de la Stasi. Le cénotaphe de Newton, conçu comme un contre-don à ces "trois grosses liasses de papier [...], unique et colossal butin" (80), est aiguillé par la culpabilité de plagiaire du narrateur et par sa fascination sincère pour "le pays bleu" (48) de ses lectures d'enfant. Reprenant à son compte une quête familiale commencée au temps de la Révolution française, poursuivie de génération en génération par les Arius, le récit du narrateur, informé par le rapport de Götz, ses relations familiales et ses propres rencontres, tisse les fils de destins individuels soumis aux vicissitudes de l'Histoire européenne, à une époque où il était encore possible d'imaginer avec ferveur que l'architecture (et le communisme) rendent les gens heureux (70). Tous les éléments de cette quête d'apparence confuse, symbolisée par le projet toujours ajourné de la construction du monument imaginé par l'architecte Boullée à la gloire de Newton, se trouvent dans les premières pages du récit. Il faut donc s'immerger dans les méandres familiaux et historiques de l'Europe centrale pour que se dessine, peu à peu, la ligne claire de quelques destinées: celles de Manfred Arius, architecte avant d'être communiste, de sa fille Jeanette écartelée par ses désirs de liberté, de l'officier Götz qui tombe amoureux de la jeune femme et, en filigrane, des dix-huit millions citoyens est-allemands ayant fait l'objet d'une surveillance policière (140). Le récit se double de la découverte progressive de la vie du propre père du narrateur, un Français dont les activités professionnelles lui permettent de circuler plus ou moins librement des deux côtés du Mur et qui, avant son fils, n'a pu résister à l'appel de l'est. Qui fut cet homme, peut-être héroïque, dont la famille s'est ingéniée pendant longtemps à effacer le souvenir? [End Page 265] De quel amour son enfant lui est-il aujourd'hui redevable? Au-dessus de ce roman plane la forme monumentale et sphérique d'un tombeau vide jamais réalisé. Au lieu d'en faire un espace creux dominé par un écho angoissant, Pagnier crée un lieu où, par anamorphose, se projettent paysages et scènes tenant ensemble par la seule force des lois de l'écriture (469). Dans ce décor surgissent quelques figures sacrificielles, à la fois vraies et fantasmées, véritables matrices de l'imaginaire de cet auteur majeur.

Jean-François Duclos
Metropolitan State University of Denver (CO)
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