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Reviewed by:
  • Le paradoxe d'Anderson by Pascal Manoukian
  • Nathalie Degroult
Manoukian, Pascal. Le paradoxe d'Anderson. Seuil, 2018. ISBN 978-2-02-140243-8. Pp. 304.

À Essaimcourt, un village de l'Oise, réside une famille unie. Aline, la quarantaine, est une mère attentionnée qui travaille pour la fabrique de textile Wooly. Son mari, Christophe, est chef d'équipe chez Univerre, une usine de fabrication de bouteilles. Ce couple vit modestement et privilégie le bien-être de leurs deux enfants: le jeune Matthis à la santé fragile et Léa, élève de terminale, section "économique et sociale", qui "rêve de disparaître, loin des briques rouges" (14). Tout bascule lorsque Wooly et Univerre délocalisent leurs activités. Du jour au lendemain, l'usine d'Aline est vidée et ses employées sont licenciées par textos. Ce"cancer du chômage" (63) annoncé si violemment traumatise Aline. Elle se sent "professionnellement violée, coupable d'avoir accepté le pire, de s'être laissé abuser sans rien dire" (103). Christophe, de son côté, se joint au mouvement gréviste et occupe l'usine avec ses camarades, espérant arrêter le processus de délocalisation. Il est "amoureux de son usine. La fermer, ce serait lui arracher le coeur" (102). Afin de protéger leurs enfants et d'éviter à Léa toute perturbation l'année du bac, Aline et Christophe leur cachent la vérité: "La journée, Aline et Christophe font semblant de rester à flot pour les enfants, le soir ils se recroquevillent, submergés, noyés comme des taupes au fond de leur galère, serrés l'un contre l'autre" (167). Pour eux, les diplômes représentent le seul espoir d'une ascension sociale possible. À bout de ressources, Aline rallie les troupes et organise le braquage du supermarché local pour s'approprier puis redistribuer certaines nécessités dont ses camarades manquent. Aline, transformée en "Liberté guidant les ouvriers" (246) devient le symbole éphémère de la condition ouvrière. La fin tragique du roman, aussi poignante que révoltante, ne surprendra personne. En mettant en parallèle la théorie économique que Léa étudie en terminale, le paradoxe d'Anderson—l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de son père ne lui garantit pas une position sociale plus élevée—et la réalité qui touche ses parents, Manoukian offre une analyse percutante du déclassement social. À travers un monde ouvrier en crise, des personnages courageux, optimistes mais finalement impuissants, l'auteur dénonce les ravages de la mondialisation, l'indifférence des dirigeants et l'accablement des laissés-pourcompte. Sans jamais recourir au misérabilisme, Manoukian fait côtoyer l'humour et le drame. Oscillant entre le réalisme et la fable, ce récit noir rend hommage à la classe ouvrière en soulignant également sa fragilité:"Le bonheur ouvrier est précaire. C'est un écosystème fragile, une terre humide, une résurgence du passé, un rien le déséquilibre" (47). L'auteur a réussi une oeuvre pertinente et pleine d'humanité qui fait écho à l'actualité. [End Page 239]

Nathalie Degroult
Siena College (NY)
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