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Reviewed by:
  • Écriture du fantasme chez Jean-Philippe Toussaint et Tanguy Viel by Alice Richir
  • Flavien Falantin
Richir, Alice. Écriture du fantasme chez Jean-Philippe Toussaint et Tanguy Viel. Brill Rodopi, 2019. ISBN 978-90-04-38292-4. Pp. 288.

Étymologiquement, le mot fantasme vient du latin phantasma, "fantôme", "spectre". Forte de ce concept, Richir signe ici une enquête au cœur de l'instance narratoriale, ou plus exactement aux confins d'une construction littéraire se trouvant aujourd'hui malmenée dans les romans de Toussaint et de Viel. Cette étude dialogique entre les deux auteurs questionne les rapports confus, diffractés, voire "involontaristes" (20) de leurs narrateurs réciproques pour démontrer la complexité de la construction humaine toujours médiée par l'entremise des "mots de l'Autre pour se raconter" (61). Lorsque Viel convoque un narrateur-personnage "archétypal" (47) et omnipotent, celui de Toussaint recourt à l'esquive et à la duplicité pour brouiller les pistes; une mise en scène savamment orchestrée qui, selon Richir, vient dénoncer "l'hégémonie du discours de la science" se plaisant à réduire l'Homme "à une entité moïque entière-ment discernable" (267). La pleine compréhension des narrateurs-personnages passe donc au contraire par l'architecture complexe de la pluralité du Moi, forgée au contact des autres et du désir mimétique qu'ils engendrent. Extrêmement bien menée, la deuxième partie de l'essai permet de repenser les principes girardiens sur la vérité [End Page 266] romanesque à l'aune de ces "nouveaux nouveaux romanciers" (3) qui se servent de ressorts techniques ultra-réalistes "pour exploiter la force de potentialité de la fiction" (270). Cette stratégie renoue avec l'ère du soupçon et s'inscrit dans la droite ligne des Beckett, Musil ou des Robbe-Grillet d'un point de vue littéraire, quand d'un point de vue esthétique elle se galvanise par un effet de contamination aux images, d'une "inclination prononcée pour la forme cinématographique" (186). Richir appose juste-ment aux côtés de cette écriture du fantasme une narration dite "cristalline" (221), terme emprunté à Deleuze quand il avait perçu dans les films de Mankiewicz "un renouvellement du paradigme de la représentation au cinéma" (265) après les années 50. Si l'œuvre de Toussaint reste plus photographique (189), davantage axée sur les outils de représentation fixe tels que la baie vitrée, la fenêtre, l'écran, ou la vitre dans Faire l'amour, ou encore l'autoportrait dans L'appareil-photo, en contrepoint "le roman de Viel repose sur la mise en scène du rapport ambivalent que l'auteur entretient avec l'image" (231), une mécanique que Richir illustre à l'aide des romans Sleuth et Cinéma. On aimerait que ce livre décrypte plusieurs autres cas d'étude symptomatiques: la narration chez Despentes par exemple, influencée par le format court des séries diffusées par Netflix pour écrire les trois tomes de Vernon Subutex. Mais globalement, il convient d'avancer que cette étude fascinante invite à penser le statut de la fiction aujourd'hui: Richir reconsidère l'œuvre de Viel et de Toussaint dans une conversation constante avec un medium qui a changé de forme depuis l'époque de Balzac, celui de la technologie numérique venant peu à peu refaçonner, pétrir et renouveler les relations que nous entretenons aussi bien avec la fiction littéraire qu'avec les avancées de la science.

Flavien Falantin
Kenyon College (OH)
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