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Reviewed by:
  • Ne m'appelle pas Capitaine by Lyonel Trouillot
  • Marie-Agnès Sourieau
Trouillot, Lyonel. Ne m'appelle pas Capitaine. Actes Sud, 2018. ISBN 978-2-330-10875-5. Pp. 160.

Deux voix s'enroulent autour de la trame du récit: celle d'Aude à la peau blanche, issue d'une famille fortunée de la Montagne Noire et qui malgré la désapprobation familiale entreprend le journalisme, et celle de Capitaine, un homme noir, âgé, usé par les révoltes et les défaites, qui survit au Morne Dédé en vociférant après des ombres. Jusqu'alors Aude tournait en rond au sein d'un milieu revendiquant sa supériorité en raison de sa blancheur épidermique, son accumulation de richesses et ses alliances profitables. Cette société a peur des "autres". Aussi se protège-t-elle sur les hauteurs, à l'air pur et au calme, loin du chaos de la ville d'en bas où régnent la misère, la puanteur, le crime, le fracas incessant. Le frère homosexuel et drogué qui hurle et invective pendant ses crises est perdu pour la lignée. Les jeunes filles, aussitôt le bac en poche, se choisissent un mari parmi les héritiers nantis de leur entourage. Aude, quant à elle, ressent le besoin de sortir de ce milieu borné sans savoir où cela l'entraînera. Pour son premier reportage professionnel, son oncle fantasque et marginal lui recommande d'interroger Capitaine, une connaissance de longue date. De la ville d'en bas où elle ne s'est jamais aventurée, Aude n'a côtoyé que les domestiques de sa famille. Sa découverte du Morne Dédé, "une agression sur ruines", sera à l'origine de sa prise de conscience sociale (17). Capitaine vit seul dans la grande maison paternelle délabrée et poursuit un monologue confus, alternant entre hurlements et mots couverts comme s'il s'adres-sait aux fantômes de son passé. Laborieusement, il raconte les événements passés du [End Page 231] quartier et des pans terrifiants de l'histoire haïtienne qu'Aude ignorait, notamment celle des dictatures Duvalier. Les exactions, les tortures, les tueries sommaires et bien d'autres horreurs restent gravées dans la mémoire de Capitaine mais sont trop monstrueuses pour être aisément exprimées. Parmi les fantômes douloureux, il y a celui de cette femme éperdument aimée et aujourd'hui haïe qui l'appelait Capitaine pour le flatter et le rallier à "la cause" avant de le berner cruellement. Aude réalise que cette femme disparue continue à exercer son pouvoir sur lui "qui me parl(e) des autres, mais ne parl(e) qu'à elle" (79). Au Morne Dédé, Aude rencontre son "guide" Jameson, Magda, Malouk, Foufoune, Abner et bien d'autres que Capitaine abrite pendant la nuit. Malgré le fossé socioéconomique et culturel qui les sépare, un dialogue s'établit entre eux. Les certitudes d'Aude tombent une à une car elle se rend compte du mensonge dans lequel elle vivait et des spoliations dont les siens sont coupables. C'est alors que son destin bascule: avec ses nouveaux amis elle aidera à réaliser le rêve de Capitaine, elle bâtira la "maison bleue", un lieu de sécurité, d'inspiration et d'espoir. Trouillot traite avec une finesse et une imagerie puissante le bouleversement moral de cette jeune femme privilégiée et naïve découvrant des habitants abandonnés dans leur espace urbain de misère. Ce magnifique roman relate avec justesse l'histoire et l'atmosphère d'un quartier supplicié parmi tant d'autres.

Marie-Agnès Sourieau
Fairfield University (CT)
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