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Reviewed by:
  • Toutes les femmes sauf une by Maria Pourchet
  • Annie Bandy
Pourchet, Maria. Toutes les femmes sauf une. Fayard/Pauvert, 2018. ISBN 978-2-213-69913-4. Pp. 137.

C'est avec une plume trempée dans l'acide que Pourchet écrit ce récit riche et dense: "ce livre blessera" (19), dit d'emblée la narratrice. Si les rapports conflictuels mère-fille constituent un sujet souvent exploité, l'originalité de ce récit avec ses accents indéniables de vérité vient du dialogue virtuel entre Marie, la narratrice, et sa génitrice. Cette rumination se fait sur deux registres bien différents où les paroles acerbes de la mère qui ne sont qu'interdictions, menaces, verdicts infligés pour rabaisser, humilier, aplatir, sont mises en relief en italiques, transperçant le récit de la fille comme des aiguilles. La langue elle-même les divise, celle plus prégnante de la narratrice, "c'est moi qui écris" (11), et celle de la mère faite de répétitions et de lieux communs aussi blessants les uns que les autres: "T'as tout faux" (15), "T'es mal barrée" (39), "Fous-moi le camp" (29) et autres gentillesses qui laissent transparaître la rancœur et la jalousie réservées à une rivale. Ce duel verbal concerne directement une troisième inter-locutrice, silencieuse celle-là, c'est Adèle qui vient de naître et à qui s'adresse Marie, tout juste accouchée. Le récit prend alors sa dimension féministe. Adèle est la dernière née d'une série de femmes qui jusqu'ici ont perpétué les vexations, intériorisé les tabous avec le même "vocabulaire émacié" (65), chaque mère "reproduisant la sienne et celle de la sienne" (64), à la différence de Marie qui est bien décidée à arrêter le désastre, à ne jamais dire à sa fille un seul des mots qu'elle a entendus: "toi, Adèle, tu casses la danse" (65). Ce grand écart entre les deux échanges, l'un issu du passé détestable et l'autre tourné vers le futur, fait tout l'intérêt du livre, Marie démontant pièce par pièce les barrières jusqu'à ce que l'édifice s'écroule et libère sa fille: "Là d'où [End Page 227] je viens, Adèle, les femmes n'avancent pas" (42). C'est à un exercice d'équilibre que se livre Pourchet, tenant en haleine ses lecteurs et particulièrement ses lectrices. Car des générations de femmes les ont entendues, ces petites phrases assassines décochées par d'autres femmes et leurs mères en particulier: "je suis la somme de leurs phrases" (12), dit Marie. Il y a dans cet acharnement à diminuer l'autre (87)—c'est d'ailleurs le terme favori de la grand-mère pour sa propre fille—une haine de soi qui remonte à très loin et que la narratrice analyse avec une pertinence laconique: "Elle ne peut pas être ma mère parce qu'elle n'a pas fini d'être une fille" (118). Ce "lexique de la dette" (125), qui rappelle le bâillonnement des esclaves, montre que la soumission des femmes rejoint celle des asservis et passe par le retrait de la parole. Marie choisit de se libérer par l'écriture pour écraser les vieux clichés racornis: "C'est moi qui écris et c'est toi qui écoutes" (27). Preuve que l'écriture salvatrice de Marie brisera les chaînes pour Adèle, c'est que celle-ci n'apparaîtra pas sur le tableau des générations précédentes où il y a toutes les autres femmes, sauf une.

Annie Bandy
Earlham College (IN), emerita
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