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Reviewed by:
  • Manger l'autre by Ananda Devi
  • Denis R. Pra
Devi, Ananda. Manger l'autre. Grasset, 2018. ISBN 978-2-246-81345-3. Pp. 224.

Donner une voix aux oubliés, aux exclus de toutes catégories est incontestablement le fil conducteur de l'œuvre romanesque de l'écrivaine d'origine mauricienne. De la prostituée dans Rue La Poudrière (1988), à la vieille femme vivant de souvenirs dans Les jours vivants (2013), en passant par l'être aliéné, sauvage et rejeté dans La vie de Joséphin le fou (2003), ou encore les jeunes des quartiers défavorisés de Port-Louis dans Ève de ses décombres (2006), une forme d'exclusion y est représentée. Dans son dernier roman, Devi donne une voix à une autre victime de la désocialisation: une jeune femme obèse. Ne spécifiant pas l'endroit où l'adolescente sans prénom vit, cette histoire se veut une critique universelle du culte de la minceur et de l'image conforme. C'est à la première personne du singulier que l'auteure décrit les maux et les souffrances de la jeune fille. "Car être obèse est une souffrance" (39). Rejetée à la naissance par une mère horrifiée du monstre qu'elle a engendré, la jeune créature est élevée par un père aimant qui entretient "la ridicule théorie de jumelles dont l'une aurait absorbé l'autre" (112). Ce mensonge se veut une explication rationnelle à la taille et à l'appétit de cette jeune femme "gigantoïde" (65). À l'école, celle qui est surnommée "la Couenne" (35, 37) vit un enfer. Les moqueries et les brimades sont monnaie courante. Mais ce sont aussi ses capacités intellectuelles qui sont remises en cause: "je suis obèse donc aux yeux des autres, déficiente en neurones" (52). L'héroïne souligne que l'obésité, mal perçue dans la société, conduit les gens à penser que les "handicapés n'ont pas le choix" (98) alors que les obèses l'auraient. L'héroïne déclare: "personne ne m'écoutera avec l'attention compassionnelle que l'on offre aux handicapés" (53). Devi décrit longuement les relations ambiguës entre la jeune fille et son père qui fait tout pour rassasier son appétit "éléphantesque" (65). Mais ce dévouement est aussi la maladresse d'un homme qui fait involontairement souffrir sa fille bien aimée, non seulement en n'essayant pas de limiter cet appétit (ce qui serait une preuve d'attention et d'amour), mais également en feignant d'ignorer la monstruosité de l'être qu'elle est à seulement 16 ans. Pourtant, au cours d'un voyage, la vérité éclate violemment aux yeux de la volumineuse jeune femme et de son père: les autres passagers portent sur elle un regard consterné et les employés de la compagnie d'aviation, au vu de sa carcasse, veulent lui facturer deux places. Ce même père laissera le charpentier René s'immiscer dans leur vie et répondre à un nouvel appétit de sa créature: la chair. La narratrice vit alors un bonheur qui ne lui semblait pas destiné. Quand René lui déclare sa flamme, elle "rayonne, ronronne de bien-être" (153). Or cet amour est interrompu par le grand œil d'Internet qui révèlera au monde entier des moments d'intimité décortiqués et commentés par des inconnus. Un roman qui s'attaque donc également aux nouveaux vices des sociétés occidentales et que Devi définit comme "nos nouvelles divinités" (191). [End Page 215]

Denis R. Pra
Los Angeles Pierce College (CA)
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