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Reviewed by:
  • Latin tardif, français ancien: continuités et ruptures ed. by Anne Carlier et Céline Guillot-Barbance
  • Olivier Bertrand
Carlier, Anne, et Céline Guillot-Barbance, éd. Latin tardif, français ancien: continuités et ruptures. Gruyter, 2018. ISBN 978-3-11-048963-7. Pp. 422.

La question de la continuité est centrale en linguistique diachronique. Celle-ci ne va pourtant pas de soi lorsqu'il s'agit d'étudier les premiers moments d'une langue nouvelle: le français. Le recueil focalise son attention sur une transition bien singulière, souvent oubliée des manuels et essais, celle du passage d'un latin tardif à l'ancien français. Nous sommes entre le cinquième et le neuvième siècle de notre ère. Les textes sont divers, le brouillage entre les langues va croissant: il y a coexistence entre latin tardif et langue vernaculaire. C'est à la fois une continuité (il y a bien filiation) et une forme de rupture (un changement de langue). Et voilà tout l'intérêt de l'étude proposée. Les douze articles ainsi que la riche introduction invitent les lecteurs à explorer un corpus multiple latino-français—essentiellement des hagiographies—dans une analyse contrastive extrêmement riche et féconde. Presque tous les domaines de la linguistique sont abordés: la question de la périodisation, celle des traductions—cruciale—des parties du discours, de la morphologie nominale (la difficile question des cas en ancien français par exemple), des classes grammaticales, de la syntaxe enfin. Reprenons le fil chronologique des premiers temps du français: le constat initial passionnant est sans doute que le changement de langue résulte plus d'une opération quantitative (Banniard) que qualitative à proprement parler, c'est-à-dire que l'essentiel des traits du proto-français étaient présents bien avant le neuvième siècle mais "à la marge" du diasystème. Petit à petit, ces traits spécifiques deviennent centraux et créent ainsi en quelque sorte un nouveau diasystème. Le français est alors né! À partir de ce constat décisif, l'on comprend mieux les enjeux des traductions "de confluent" (Buridant) mais surtout le fonctionnement même de la langue dans sa matérialité (pourquoi le [End Page 221] français exige—sauf cas particuliers—l'expression du sujet là où le latin s'en dispensait, tout comme de nombreuses langues romanes). L'analyse morphologique des pronoms cristallise à elle seule l'évolution si particulière du latin tardif vers le français. Mais la syntaxe (notamment des pronoms précisément) n'est pour autant pas oubliée: on constate d'ailleurs que dans les toutes premières traductions en français, l'ordre des mots est déjà majoritairement SVO et que l'ordre SOV est plutôt opératoire lorsque l'objet est pronominal. Enfin, une place importante est laissée à la phrase complexe et son évolution. Les auteurs s'intéressent bien aux fréquences d'emploi (complétives, infinitives, subordination implicite vs explicite, interrogatives indirectes, circonstancielles, etc.) et montrent avec brio la construction progressive de structures latines parfois périphériques. L'on retrouve ici la notion de diasystème qui fait sens et, partant, qui montre un nouveau fonctionnement de la phrase. In fine, le recueil fait montre d'une grande cohérence dans son approche générale. Clairs et rigoureux, les articles (tantôt en français tantôt en anglais) sont très bien documentés grâce au corpus de base présenté avec maestria dans l'introduction. À partir d'un corpus précis, il permet aux lecteurs curieux d'explorer les arcanes des premiers temps du français. Nonlatinistes s'abstenir.

Olivier Bertrand
École Polytechnique, Paris
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