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Reviewed by:
  • Deux sœurs by David Foenkinos
  • Denis R. Pra
Foenkinos, David. Deux sœurs. Gallimard, 2019. ISBN 978-2-07-284184-2. Pp. 176.

En débutant de manière biaisée la lecture du célèbre passage de L'éducation sentimentale décrivant la naissance de la passion de Frédéric Moreau pour Madame Arnoux, Foenkinos nous invite dans le mental "flaubérien" de son héroïne, Mathilde. "Ce fut comme une disparition" (16) fait référence au départ de son compagnon Étienne. Lorsque ce dernier la quitte, c'est toute une vie qui s'effondre. C'est même le début d'une lourde dépression, car son compagnon est parti avec Iris, un amour de jeunesse. Lorsque Mathilde voit Iris dans la rue (on relèvera la dimension visuelle du prénom), alors "ce fut comme une apparition" (66). La jeune femme comprend qu'elle n'a été qu'une parenthèse dans la vie d'Étienne et qu'il ne l'a peut-être jamais vraiment aimée en dépit de sa demande en mariage. Mathilde devient froide et brutale. Normalement à l'écoute de sa collègue Sabine, elle reconnaît: "tout ce que tu me racontes, je m'en fous" (151). Ne souhaitant rien laisser transparaître de ce séisme sentimental dans son milieu professionnel, la professeure de lycée respectée et appréciée gifle un étudiant. En plus d'Étienne, elle perd son travail. Après cette descente aux enfers, le roman retrace la lente reconstruction de Mathilde. Celle-ci retrouve en apparence une certaine joie de vivre grâce à sa sœur Agathe (mariée et mère d'une petite Lili) qui l'accueille chez elle. Pourtant sous l'aspect attentionné et aimable transparaît une autre Mathilde calculatrice et impitoyable. "C'est dégueulasse" (125), lance-t-elle à sa sœur qui invite un ami célibataire pour tenter de la "caser". De cette rancœur refoulée naît une jalousie dangereuse qui laisse présager l'issue sans surprise du roman. En revanche, la structure du récit de Foenkinos, auteur de La délicatesse (dix prix littéraires) et de Charlotte (prix Renaudot 2014), mérite toute notre attention. Divisé en deux parties, Deux sœurs est rédigé en fragments numérotés (soixante-quatre dans la première partie, trentetrois dans la seconde). Le récit minimaliste privilégie la description des faits mais intègre également plusieurs voix narratives. La présence de notes en bas de page (fait assez rare dans un roman pour être souligné) participe incontestablement à cet effet de voix multiples dont la plus forte est sans surprise celle du narrateur-romancier. Ce dernier exprime des opinions sur des faits plus ou moins éloignés de l'histoire, comme le vif intérêt des jeunes de vingt ans pour l'Australie, tout en ajoutant: "partir pour l'Inde est [une préoccupation] des Européens de quarante ans et partir pour la Suisse […] s'impose à soixante ans" (37). D'autres notes donnent une voix à Mathilde: "je dois me reconstruire, oui, car je suis détruite" (95). On remarquera que ces notes ont tendance à s'allonger au fil des pages. C'est le cas de celle consacrée à l'abonnement cinéma de l'héroïne: "Mathilde pensa subitement à sa carte de cinéma qu'elle ne rentabilisait plus" (155). Ces excroissances au ton humoristique contribuent à l'originalité du style narratif de cette éducation sentimentale du vingt et unième siècle mais ne font en rien de Foenkinos un nouveau Flaubert. [End Page 201]

Denis R. Pra
Los Angeles Pierce College (CA)
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