- Une Histoire Italienne by Laura Ulonati
Arrivée en France à un jeune âge, Ulonati a une mémoire tronquée de son pays d'origine qui a toutefois colonisé son imaginaire, colonisation alimentée par les écrivains (Pavese, Morante), les imitations que son grand-père faisait de Mussolini et les émissions de la Rai. Dans son premier roman, elle s'empare justement d'une de ces bribes de mémoire, une interview où le journaliste Indro Montanelli disait s'être acheté une madamato quand il servait les aspirations impériales coloniales du Duce en Abyssinie. Cet Arcitaliano, archi-italien vil et grandiose, prend les traits d'Attalo Sotere Mancuso dont les prénoms—pris à un roi de Bergame et un philosophe antique—attestent de l'ambition de son père, nationaliste et xénophobe vaincu en 1896 dans la première guerre italo-éthiopienne. Attalo a l'enfance d'un chef. La badine paternelle le dispute à la privation d'affection de sa mère—femme croyante, simple et soumise qui finalement le répugne. Son père bêtement mort à la chasse, Attalo trouve dans le condottiere une figure de compensation et dans le fascisme l'opportunité de jouer le rôle auquel il a été formé. À seize ans, il part pour Florence et travaille dans des publications fascistes. Son itinéraire journalistique le conduit à Paris, en Norvège, au Canada, aux États-Unis où, comme Montanelli, il interviewe Henry Ford. Après ces deux chapitres où son personnage ressemble à un buffone et il Duce—nommé Grand-Père—à Pantalone, Ulonati consacre les quatre suivants à la conquête abyssinienne, "Gesta d'Oltremare", geste aussi ridicule que Mancuso menant ses troupes de soldats noirs avec autant de morgue que d'ignorance crasse. C'est là qu'après des négociations menées par son sergent indigène, il acquiert pour cinq cents lires Fatima, douze ans, un cheval et un pistolet. La peau cloquée par un soleil-lion, les boyaux tordus par une chiasse impérieuse, incapable d'en découdre avec un ennemi qui demeure invisible, Mancuso voit sa frustration augmenter devant l'infibulée. La scène prêterait à sourire—tant le personnage atteint le paroxysme du grotesque—si elle ne s'achevait en viol conjugal. L'entrée de ce sous-chef (sottotenente) rêvée triomphale dans Addis-Abeba n'est qu'un tableau imaginé pour l'Histoire, une histoire italienne à l'image des portraits de Mussolini et Vittorio Emanuele III, "le menton prognathe de l'un juxtaposé au regard vide et sénile de l'autre donnaient à l'ensemble des airs d'un comique irrésistible" (96). En 1939, Ulonati prend ses distances avec son arcitaliano de référence et fait retourner Mancuso en Abyssinie où il apprend que Fatima est morte en accouchant de son fils, avant de l'abandonner tout de bon dans l'épilogue. Car son histoire inutile n'a été que prétexte à montrer comment la colonisation révèle la vérité de l'âme et des désirs, même vils, et donner à voir "l'enfer des femmes là-bas" (128). La plume trempée occasionnellement dans l'italien et constamment dans la dérision, Ulonati est une primo-romancière fort prometteuse. [End Page 256]