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  • Fiertés de femme noire: entretiens/mémoires de Paulette by Philippe Grollemund
  • Virginie Ems-Bléneau
Grollemund, Philippe. Fiertés de femme noire: entretiens/mémoires de Paulette Nardal. L'Harmattan, 2018. ISBN 978-2-343-16043-6. Pp. 201.

Il est des découvertes aussi incroyables qu'inattendues, surtout lorsque leur trace se perd pour ne réapparaître que quarante ans plus tard. Imaginez un jeune fonctionnaire nommé en Martinique dans les années 1970, participant à une chorale dont les répétitions se déroulent "dans un appartement d'une vieille dame" (11). Le jeune homme apprend un peu plus tard que cette "vieille dame" de 78 ans fut la première femme noire à étudier à la Sorbonne en 1921. Il s'avère également que cette musicienne passionnée par la littérature afro-américaine a fréquenté les artistes des "revues nègres" rendues célèbres par Joséphine Baker dans les années 1920–1930. Et pourtant, ce n'est pas sa carrière musicale qui intéresse le jeune fonctionnaire, mais plutôt ce qui mena l'écrivain Joseph Zobel à la qualifier de "Marraine de la Négritude" (161). Cette vieille dame s'appelle en effet Paulette Nardal, (co)fondatrice de la Dépêche africaine, de la Revue du Monde Noir, de La Femme dans la cité, et du mouvement "Rassemblement Féminin". Bien que physiquement diminuée par l'âge, Nardal accorde gracieusement à l'auteur plusieurs entretiens qu'il transcrit à la main en 1975. Ces précieux documents disparaissent malheureusement dans les déménagements, ne refaisant surface qu'en 2016. Nardal confie ici les raisons qui l'ont poussée à écrire et à travailler pour améliorer la condition de la femme, mais aussi ce qui l'a éloignée de Senghor et Césaire au point d'être mise aux marges de la Négritude. Un tel trésor aurait cependant mérité d'être mieux édité. Le lecteur se demandera souvent s'il lit les propos de Nardal ou ceux de Grollemund–– questions non transcrites, glissements extrêmes entre les registres, réimpression de documents en cours d'entretien, pas de changement de police pour distinguer l'énonciation––le tout rendant la lecture difficile malgré l'intérêt incontestable de la matière. Si Nardal fut la contemporaine de Césaire et Senghor, ses propos se rapprochent beaucoup plus de ceux du plus jeune Franz Fanon (qu'elle ne cite jamais): elle évoque bien sûr la "honte de soi-même" qui [End Page 221] découle des "séquelles du colonialisme, de l'esclavage" et du fait que "la société [soit] gouvernée par les hommes" (109), mais elle s'intéresse surtout au rôle de l'assimilation à la culture blanche dans l'identité bourgeoise martiniquaise. Nardal fut une intellectuelle d'exception bien avant son heure. Le lecteur se demandera alors pourquoi, malgré toutes ses contributions, Nardal fut oubliée par l'Histoire. Ces entretiens permettent d'ébaucher une réponse partielle. D'une part, le tempérament de Nardal ne se prêtait pas au militantisme (Césaire et Senghor lui auraient d'ailleurs reproché de ne pas avoir fait de politique et de ne pas avoir accepté le communisme). D'autre part, pour Nardal, la fierté du Martiniquais pour sa culture et son identité métisses "est fort compatible à [son] attachement très profond à la France, [sa] grande patrie" (46). Nardal ne militait pas pour la décolonisation, mais pour que les Martiniquais (et les Français) reconnaissent les contributions de la civilisation noire à juste titre. Il semblerait donc que Nardal eût été trop modérée pour la postérité.

Virginie Ems-Bléneau
Georgia Southern University
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