In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Marcher Au Hasard: Clinamen Et Création Dans La Prose Du XXesiècle by Morgane Cadieu
  • Catherine Nesci
Cadieu, Morgane. Marcher au hasard: clinamen et création dans la prose du XXesiècle. Garnier, 2019. ISBN 978-2-406-08850-9. Pp. 214.

Cet ouvrage passionnant éclaire l'usage de la notion lucrétienne de "clinamen" comme déviation dans l'écoulement linéaire des atomes et les enjeux du hasard, de l'antihasard et du clinamen dans les topographies urbaines, les listes et les dispositifs romanesques, en particulier chez Georges Perec, Anne Garréta, Italo Calvino, Jacques Roubaud et l'artiste Sophie Calle. Mettant en lumière le sous-texte atomiste dans les formes de la fiction, Cadieu réévalue les démarches oulipiennes fondées sur la production de hasards forts, de contraintes et d'exceptions aux règles auto-imposées. Le riche appareil conceptuel, puisant chez les matérialistes antiques comme chez les philosophes et penseurs contemporains, renforce les micro-analyses soignées qui nourrissent les quatre chapitres de cette enquête. Dans l'introduction qui parcourt l'histoire de la littérature, de la philosophie et des sciences de l'Antiquité grecque jusqu'aux avant-gardes modernes, l'auteure aborde le hasard comme "notion autonome et positive qui permet de penser la création du nouveau et la production du sens" (22). Grâce au clinamen comme écart producteur de désordre qui "introduit de la différence au sein de la pure répétition" (25) et signe le passage de la loi à l'exception, l'enquête renouvelle l'examen du déterminisme, de la création et du désir de rencontre entre êtres humains. Deux grandes questions articulent la réflexion de Cadieu sur le geste littéraire et artistique: que font l'écriture de Perec et les jeux de filature de Calle du clinamen comme paradigme du hasard dans l'espace? Le premier chapitre analyse l'arpenteur oulipien comme contre-figure de l'errance surréaliste et de la dérive situationniste. Ce n'est toutefois pas le hasard objectif, hasard faible, qui aimante les parcours de Roubaud ou Perec et ceux de Valérie Baudoin et Garréta (dans Tu te souviens?), lesquelles créent le hasard en apposant des contraintes afin d'orienter leur trajectoire et la rencontre des souvenirs. Le deuxième chapitre se penche sur les marches contraintes dans Paris, la topographie du hasard et les performances de l'oubli [End Page 214] dans Un homme qui dort de Perec, ouvrage pré-oulipien que Cadieu présente comme le De natura rerum du vingtième siècle tant les formes et les flux de l'univers narré et de l'instance narrative plongent dans l'atomisme gréco-latin et l'ataraxie épicurienne. Le troisième chapitre examine l'esthétique de l'accumulation et des listes chez Perec, Roubaud, et Calvino. Cadieu interroge le désir des écrivains de susciter la "coprésence de tous les textes possibles" (133) ainsi que leur souci d'éviter l'entropie et suggère que la régulation du hasard par listes et règles relève, chez Perec, d'une réponse à "l'arbitraire concentrationnaire" (147). Le dernier chapitre porte sur la pulsion sexuelle du clinamen et se clôt sur les interactions entre hasard, genre et déambulation dans Suite vénitienne de Calle et la postface de Jean Baudrillard (Please follow me). Pour résumer, Cadieu repense avec rigueur et originalité les relations croisées entre hasard et prose dans les avant-gardes en éclairant l'arpentage comme nouvelle flânerie indexée sur l'intentionnalité. Il s'agit d'une "marche contrainte, consciente, volontaire et programmable" (196), dans laquelle auteurs et artistes exercent concrètement leur libre-arbitre.

Catherine Nesci
University of California, Santa Barbara
...

pdf

Share