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Reviewed by:
  • La mer à l'envers by Marie Darrieussecq
  • Suzie Suriam Wordofa
Darrieussecq, Marie. La mer à l'envers. P.O.L, 2019. ISBN 978-2-8180-1924-5. Pp. 256.

De l'autre côté de la mer, si on la retourne comme un gant, que trouve-t-on? Sur l'autre versant, qui rencontre-t-on? Voilà quelques-unes des questions que pose La mer à l'envers de Marie Darrieussecq. D'autres affleurent au fil du roman, dans un vaet-vient maritime: Rose Goyenetche, son fils Gabriel (15 ans) et sa fille Emma (7 ans) voguent sur la Méditerranée le temps d'une croisière. La mer est une frontière liquide entre l'Afrique et l'Europe, les nantis et les migrants. Les morts sont cachés au regard des passagers. Les vivants leur tiennent compagnie dans la soute "où logent les Philippins, les Péruviens, les Indonésiens qui entretiennent le bateau, servent et font les chambres" (30). Division des tâches, division du monde entre le Nord et le Sud, les touristes et les crève-la-faim. Témoin inopinée d'un sauvetage nocturne, Rose fait cadeau du pull et du portable de Gabriel à un jeune migrant, portrait en décalé de son fils: cheveux bruns et bouclés, peau noire, poches vides. Désormais Younès entendra cette sonnerie d'injonction: "C'est ta reum qui t'appelle, gros, c'est ta reum qui t'appelle" (39). Trahison, accusation à peine voilée. La reum, c'est la mère à l'envers, qui aide les enfants des autres et lâche la main des siens. Emma disparaît le temps d'une escale à l'Acropole. Puis elle se matérialise aux côtés de son frère. "Gabriel tient la main d'Emma. Il lui fait signe, il l'a! Ils sont très nets soudain dans le soleil brumeux" (92). Plus tard, Rose la pédopsychologue s'interroge: "Est-ce que les mères sont toutes des salopes" (100), n'œuvrant que pour leur progéniture? Elle voit plus loin, plus grand. Pour Younès et ses jeunes patients, elle est "la maman qui guérit" (200), "sa seule marge de manœuvre [étant] d'éviter que des enfants de toutes sortes ne soient la proie de la folie générale" (125). Rose et Younès ont en commun un exil, une traversée. De Paris vers le Pays basque pour elle. Du Niger vers l'Angleterre—via la [End Page 253] Libye et la France—pour lui. L'Atlantique fait obstacle au rêve britannique des migrants. Fable du vingt-et-unième siècle? Roman à consonances autobiographiques? Darrieussecq prend le pouls de son pays, de son milieu et de son époque. Elle écrit dans une langue limpide, liquide, sans concession. Envie d'ailleurs; peur des attentats; petites lâchetés; rejet de l'autre, du migrant, des sans-abris; mauvaise conscience; crainte du temps qui passe, du réchauffement climatique, du quotidien, du ressac. Mais l'espoir est là. Rose ne guérit pas juste les âmes avec ses mots, les corps aussi avec ses mains. Son mariage survit à la bourrasque. Les enfants grandissent. Younès nage jusqu'en Angleterre. Dix ans plus tard, "il l'enlace fort et il la soulève et ils tournoient les deux sous le pont de Brixton" (243). Ce qui importe en définitive c'est le chemin parcouru, pas tant le point de chute.

Suzie Suriam Wordofa
Defense Language Institute (CA)
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