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L’Usure des jours by Lorette Nobécourt (review)
- The French Review
- Johns Hopkins University Press
- Volume 84, Number 1, October 2010
- pp. 206-207
- 10.1353/tfr.2010.0058
- Review
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familiales d’une main de peintre réaliste ou de poète lyrique; au pire elle renforce les thèmes d’une enfance malheureuse, d’une perte subite d’innocence et de réactions qui se répètent d’une génération à l’autre. Ces nouvelles permettent de mieux connaître son art descriptif ainsi que l’action cinématographique, tel un “stylo-caméra” selon Philipponnat (11). Ce style nous pousse à lire goulûment chaque nouvelle pour en dévorer la suivante. Anne, fille abandonnée d’une prostituée dans “Film parlé”, se retrouve avec son amant Luc sur un lac au bois de Boulogne; l’on y entend un poisson qui plonge, “un brusque frémissement d’ailes comme une soie déchirée”. Abrupt, elle continue à la manière d’un cinéaste: “L’image du lac s’efface. C’est la foire aux portes de Neuilly” (53). Dans “La Voleuse”, Marcelle, fille illégitime, raconte à sa grand-mère pourquoi elle lui a volé deux billets de mille francs et comment cette idée lui était venue le jour où ils battaient le blé. Marcelle dépeint la beauté de cette journée: “La table était chargée de grands paniers de prunes; leur peau d’or fendillée laissait échapper des perles de sucre et leur parfum attirait les abeilles et les guêpes [...] la musique même de l’été et qui mettait le cœur en fête” (149). Le fond estival est cependant oblitéré par les sentiments de la jeune fille qui en voulait de plus en plus à sa grand-mère d’avoir chassé sa mère, une servante faussement accusée d’un larcin. Dans “Echo”, Némirovsky évoque l’enfance d’un écrivain dont la sensibilité enfantine est écrasée par un parent, écrasement propagé à la génération future. Tout petit, l’écrivain décrit la joie qu’il subit à découvrir “les ailes palpitantes” d’un papillon blanc sur un rosier; “je venais”, dit-il, “de m’emparer de toute la beauté, de tout le mystère éclatant de l’été”, mais quand il l’apporte en offrande à sa mère, elle lui dit de jeter “cette horreur” (90). A la fin de la nouvelle, l’écrivain devenu père de famille, corrige durement son fils comme l’avait fait sa mère avant lui, et le traite de crétin quand il demande ce qu’est un corbillard; l’enfant, ayant touché “une blessure secrète”, se fait renvoyer: “on n’interrompt pas son père. Puis, tu n’as rien à faire ici” (91). Le thème de la mort est omniprésent dans ce recueil. Un exemple frappant se trouve dans “Les Cartes” où la danseuse, Anita, se fie aux cartes pour découvrir les présages. Du fait qu’elle danse mal, elle en recherche la cause et l’attribue à une femme de chambre de la pension dans laquelle elle habite avec le jeune Rodrigue. Renvoyée, Rose, la femme de chambre, décharge un revolver sur Anita qui sort du théâtre, “heureuse d’avoir bien dansé” et “d’être délivrée de la dame de pique” (124). Drame ou mélodrame, cette nouvelle est suivie par d’autres qui surprennent autant. Dans la dernière, “Les Vierges”, les mêmes thèmes refont surface. L’amour doux-amer de Camille, raconté à ses vieilles compagnes, ne prend pas la forme du bonheur, mais du “goût” qu’il donne à la vie: “un goût de fruit, sapide, juteux, presque un peu âpre, un goût de jeunes lèvres” (224). Ce recueil offre l’occasion d’approcher de plus près l’âme ensoleillée, mais plus souvent ombragée, d’Irène Némirovsky, et de voir dans ces textes sa maîtrise de l’image et du dialogue. Spence School (NY) Mary Schmid Combal NOBÉCOURT, LORETTE. L’Usure des jours. Paris: Grasset, 2009. ISBN 978-2-246-71311-1. Pp. 133. 12,90 a. Dans ce journal intime d’une femme troublée, fragmentée et légèrement névrosée, la narratrice évoque...