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Reviewed by:
  • L'Ombre animale by Makenzy Orcel
  • Chantal Kénol
L'Ombre animale. Par Makenzy Orcel. Paris: Éditions Zulma, 2016. ISBN 978-2-84304-757-2. 352 pp. US $21.75, broché.

L'Ombre animale, c'est l'histoire d'une femme d'âge indéterminée et jamais nommée qui, de sa voix d'outre-tombe, nous conte sa vie passée dans un village d'Haïti, au sein d'une famille dysfonctionnelle—pour utiliser un concept de la psychologie moderne : Makenzy, un père prédateur sexuel qui abuse de sa fille (la protagoniste/narratrice) ; Toi, une mère taciturne et victime, vendue au père de la narratrice pour « quelques billets ou un lopin de terre » (83) ; Orcel, un frère retranché dans son silence, isolé de tout et de tous dans son esprit, qui contemple la mer pour seul horizon et [End Page 284] à longueur de temps. Les personnages de ce roman sont de deux types : ceux qui sont nommés, Makenzy, Orcel, Toi (la mère) et ceux qui sont représentatifs d'un type de personnes ou du rôle que celles-ci jouent dans le récit (le Maître d'école, l'Autre, l'Inconnu, l'Envoyé de Dieu, l'Étrangère, le Gamin, la Famille Lointaine … ). Les procédés de caractérisation établis par l'auteur fonctionnent bien. Makenzy, Orcel, Toi et la protagoniste sont bien définis dans leur histoire, leurs traumatismes, leurs errements, leurs ratures et leurs actes. Les personnages-types ont eux-aussi une histoire particulière mais ils servent également à présenter et à représenter les deux espaces-cadres du récit, le village et la grande ville, et à faire avancer la trame principale de l'histoire.

La protagoniste/narratrice, est la fille de cette cellule familiale, « le portrait craché de sa mère », malgré sa volonté manifeste d'être son contraire : « À défaut de pouvoir échapper à cette évidence physique, je me déguisais en courant d'air, une façon de me dérober à ce lieu commun qu'on partageait, elle et moi … je voulais ressembler à tout, sauf à Toi, non merci, même sa beauté et son courage me répugnaient » (12). La protagoniste se rebelle, questionne, défie et refuse ultimement de partir du village avec les siens, y demeurant seule jusqu'à sa mort : « Je ne bouge pas, leur ai-je dit … je ne partirai pas, c'était la première fois que je disais non, et tout ce que j'étais, n'étais pas, résonnait dans ces trois lettres » (124). C'est de son lit de mort que la narratrice nous raconte, dans un premier temps, la vie du village avec ses secrets, ses routines, ses intrus qui perturbent, pour un temps ou à jamais, son devenir, bousculant le semblant d'ordre établi, déséquilibrant le cours des choses même quand malsain, abject, déshumanisé ou déshumanisant. Dans la deuxième partie de son récit, le cadre spatio-temporel change du village à la grande ville où les membres de la famille de la narratrice, hormis elle, se sont exilés.

L'une des réussites de ce roman réside dans la capacité de la narratrice interne à nous donner accès non seulement à son monde intérieur à elle mais aussi à celui des autres personnages. La narratrice, qui se qualifie de « cadavre », est inerte, pourrissant sur son lit de mort et sa voix s'élève de l'au-delà, enfin libérée de la tyrannie et de la violence qu'elle aura subies toute sa vie.

Je suis le rare cadavre ici qui n'ait pas été tué par un coup de magie, un coup de machette dans la nuque … je suis morte de ma belle mort, c'était l'heure de m'en aller, c'est tout, et maintenant que je ne suis plus de ton monde où l'on monopolise tout—les chances, la parole, l'amour, le pouvoir—et que j'ai enfin droit à la parole, à un peu d'existence.

(11) [End Page 285]

Elle semble raconter cette histoire à un interlocuteur invisible—peut-être s'agit-il tout simplement du lecteur qu...

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