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Reviewed by:
  • Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal by Judith Rainhorn
  • Alexis Zimmer
Judith RAINHORN, Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal, Paris, Presses de Science Po, « Académique », 2019, 372 p.

Comment, en d'autres mots, une société en vient-elle à admettre, parfois même à encourager, l'intoxication généralisée de certains environnements et des corps de celles et ceux, nombreux, à y être confrontés? Le livre de Judith Rainhorn apporte à cette question une réponse historienne, remarquablement précise et documentée, en retraçant l'histoire, essentiellement en France, de la céruse, autrement appelée blanc de plomb : un pigment blanc servant à la confection de peinture. Pour ce faire, l'historienne mobilise un vaste corpus de sources hétérogènes–archives d'industries, archives parlementaires, ministérielles, presses ouvrières, revues et monographies savantes et institutionnelles, etc.–pour saisir l'enchevêtrement des discours, des dispositifs institutionnels et des pratiques qui ont permis à ce poison, plus d'un siècle durant, d'être largement produit et utilisé à l'échelle industrielle.

Cet ouvrage vient ainsi utilement rejoindre et compléter une bibliographie désormais conséquente d'enquêtes historiennes, sociologiques et anthropologiques documentant la manière dont nos sociétés ont, littéralement, en encadrant la production et les usages d'une multitude de substances industrielles, pavé la route d'une intoxication généralisée de nos milieux de vie. L'auteure nous le rappelle, il n'y a « pas un aspect de la vie quotidienne qui n'échappe désormais à cette myriade de poisons, cancérogènes ou perturbateurs endocriniens suspectés ou avérés. Chacun le sait et, pourtant, y consent » (p. 5). Un problème se pose dès lors : comment se fabrique un tel « consentement à l'empoisonnement ordinaire »? (p. 5).

L'ouvrage dépeint, en sept chapitres, l'histoire industrielle de ce poison, allant de l'invention des procédés industriels de sa production (chap. 1) à sa prohibition, relative, en France d'abord au début du XXe siècle (chap. 5 et 6), puis à l'échelle internationale au début des années 1920 (chap. 7), en passant par la constitution de savoirs médicaux et hygiénistes appréhendant les effets sanitaires de cette substance (chap. 2), ainsi que par l'invention d'un substitut à la céruse, le blanc de zinc, qui a bien failli jeter cette dernière aux oubliettes (chap. 3). Loin de répondre à la linéarité supposée d'un progrès des connaissances et des conditions sanitaires, cette histoire est faite d'alternance de périodes de reconnaissance des ravages engendrés par le poison, et d'autres, caractérisées par un mutisme et une opacité des discours relatifs à ces derniers (chap. 4).

La production industrielle du blanc de plomb débute à la fin du XVIIIe siècle, par l'invention du « procédé hollandais ». Très rapidement, la céruse devient « le pigment de choix pour la peinture en bâtiment » (p. 23). La France en est une grande consommatrice, elle en importe de grandes quantités de Hollande et de Grande-Bretagne. La situation politique–révolution et guerres napoléoniennes–détermine la nécessité d'en développer une industrie à l'échelle nationale. L'État industrialiste, entouré « d'une sphère savante au service du politique » (p. 19), encourage l'invention de procédés susceptibles d'y répondre. Un procédé français est inventé, le « procédé de Clichy », du nom de la manufacture qui en assure la production. Dans la foulée, un autre pôle de production se constitue, à Lille, qui deviendra la capitale de la céruse : au milieu du XIXe siècle, les trois quarts de la production nationale y sont produites. L'auteure évoque la brutalité du déclenchement de l'épidémie lié à [End Page 149] l'apparition de ce secteur industriel. Les symptômes relevés sur les ouvriers malades ne laissent aucun doute sur la nocivité du poison :

[Les] gencives [de l'ouvrier] et ses dents se recouvrent d'une couche bleu...

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