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Reviewed by:
  • De fumées et de sang. Pollution minière et massacre de masse, Andalousie, XIXe siècle by Gérard Chastagnaret
  • Thomas Le Roux
Gérard CHASTAGNARET, De fumées et de sang. Pollution minière et massacre de masse, Andalousie, XIXe siècle, Madrid, Casa de Velázquez, 2017, 424 p.

« Je n'aurai jamais dû écrire ce livre », prévient Gérard Chastagnaret en ouverture du prologue de ce livre touffu et essentiel. Historien de l'économie et spécialiste reconnu de l'histoire minière de l'Espagne au XIXe siècle, l'auteur n'a été orienté vers l'écriture de cet ouvrage que de façon fortuite, à l'occasion d'un colloque sur les pollutions industrielles dans le monde méditerranéen tenu à l'Université d'Aix-Marseille en 2013. Sans avoir porté jusqu'à présent une attention particulière ni à l'histoire du mouvement ouvrier, ni aux contestations environnementales des [End Page 146] activités extractives, il s'attaque de front, à la fin de sa carrière universitaire, à ces deux thèmes. Le parcours est révélateur d'autres historiens économistes, des techniques, du monde rural ou de l'urbain, qui revisitent depuis quelques années l'historiographie ancienne ou leurs propres travaux à l'aune des impacts environnementaux de l'évolution des activités humaines. L'histoire des pollutions minières du sud de l'Andalousie à la fin du XIXe siècle est à la fois documentée, mais peu connue du grand public et, hormis une monographie locale, il n'existait pas d'étude qui en fasse le centre de l'analyse. Très bon connaisseur du terrain et des archives, l'auteur reprend ses dossiers et y ajoute une nouvelle moisson de documents jusqu'alors inédits, ce qui lui permet d'apporter des éléments d'enquête très précis.

Résumons tout d'abord les faits autour desquels s'articule l'analyse. Le 4 février 1888, une manifestation pacifiste populaire et ouvrière de plus de 10 000 personnes se rassemble devant la mairie du village Rio Tinto, petite bourgade minière de 5 à 6 000 habitants dans le sud de l'Andalousie, pour protester contre les pollutions à grande échelle des compagnies minières. Les militaires sont dépêchés par les autorités, et tirent sur la foule, tuant plusieurs dizaines de personnes, sans doute autour de 200, ce qui en fait l'un des massacres de répression des forces de l'ordre parmi les plus importants du XIXe siècle. Les 350 pages du livre déroulent les différents actes du drame, surtout sur les années cruciales, 1886-1888, jusqu'à la cristallisation et la tension ultime de l'après-midi du 4 février, mais en donnant également une place à la restitution du contexte minier de la région de Huelva.

La force de l'ouvrage–une immersion extrêmement documentée dans l'affaire au niveau local et à Madrid–est aussi sa faiblesse. Si le terrain espagnol est très finement restitué, notamment celui des factions politiques qui s'affrontent, entre libéralisme et conservatisme au niveau national, comme celui du caciquisme, des communautés rurales traditionnelles et des migrations au niveau local, le tableau peine à y inclure le contexte international. Ainsi, le marché du cuivre est évoqué, mais sans mentionner le déclin des filons britanniques de Cornouailles ou du Pays de Galles et la quête de nouvelles mines dans le monde par des ingénieurs britanniques impérialistes en mal de souterrains fertiles sur leur territoire national, mais disposant du savoir technique et des capitaux ; le tout dans une période de forte demande en cuivre, avec les débuts de la filière électrique. L'évocation de l'histoire effrénée des barons des compagnies minières du second XIXe siècle aurait également permis de développer davantage l'idée d'une périphérie extractive aux allures coloniales dans une région très rurale et sous-développée d'Europe, zone sacrifiée à l'utilité publique. Dans le domaine des pollutions...

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