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  • « Lacombe Lucien. Un salaud dans l'histoire »Transcription d'un entretien filmé avec Pierre LABORIE en 2005

Dans cet entretien filmé, réalisé en 2005 à l'occasion de la réédition en DVD par Arte Vidéo de Lacombe Lucien1 (1974) de Louis Malle, Pierre Laborie revient sur sa rencontre avec le réalisateur et discute en particulier des liens entre fiction et réalité historique.

La rencontre avec Louis Malle

J'ai rencontré Louis Malle à la fin de l'année 19732. Il cherchait quelqu'un qui éventuellement pouvait lui apporter des informations sur ce que le Lot avait été pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s'est adressé à l'Université de Toulouse, je préparais une thèse à ce moment-là, je n'étais pas encore enseignant à l'université, et on m'a mis en contact avec lui. Il m'a appelé, je me souviens très bien, il m'a téléphoné très gentiment, on s'est vu dans un café, on a commencé à parler et, à partir de là, notre relation est devenue suivie, une amitié qui s'est prolongée pratiquement jusqu'à sa mort [en 1995].

La fiction, le romanesque et la réalité historique

Le problème était ce passage du jeune milicien à ce jeune agent français de la Gestapo, qui était tout à fait différent, et Louis Malle voulait savoir si c'était possible, si cela avait existé, si cela faisait partie des fantasmes ou pas. On en parlait à ce moment-là [au début des années 1970], surtout à travers un seul exemple qui était toujours mis en avant, celui de la Carlingue, des anciens flics, Bony et Lafont, des mercenaires qui n'étaient pas là par idéologie, ou très peu, mais essentiellement pour profiter du pouvoir que l'argent leur donnait, et qui se sont mis au service des Allemands. C'était cela un peu, les agents français de la Gestapo, et Louis Malle voulait savoir si, en province, et si, dans des endroits beaucoup plus reculés–c'était le cas du Lot –, ce genre de personnages avait pu exister. Et c'est vrai qu'ils ont existé aussi là. Les agents de la Gestapo, d'une manière générale, étaient des gens suspects, parce qu'on savait très bien qu'ils n'étaient pas de vrais professionnels, qu'ils étaient entrés dans ce milieu-là essentiellement pour des avantages financiers ou par goût du pouvoir ou par manque de conscience–ce qui semblerait être le cas de Lacombe Lucien. Ces gens-là, généralement, étaient plutôt méprisés, mais craints en même temps parce qu'ils avaient l'appui de la police allemande, ils avaient donc des pouvoirs incontestablement supérieurs à ceux d'un gardien de la paix de Figeac dans une rue.

La date pose de très gros problèmes [juin 1944, dans une petite sous-préfecture du sud-ouest de la France] et on tombe là dans l'une des critiques qui ont été faites [End Page 61] au film, et qui sont justifiées si l'on se place d'un point de vue strictement antiquaire, c'est-à-dire observer précisément si le meuble que je regarde appartient bien exactement à l'époque à laquelle on me dit qu'il appartient. Et c'est vrai que juin 1944, dans le Lot et dans la région de Figeac, cela ne correspond pas du tout à ce qu'on voit dans le film, c'est bien évident. Ce n'est pas dans l'ordre des choses, dans la France de 1944, qu'une femme de prisonnier affiche ouvertement sa liaison extraconjugale avec quelqu'un du village. Il y a là une sorte de jeu qui est plus de l'ordre du romanesque que de la réalité historique.

Concevoir une histoire d'amour entre une jeune juive recherchée qui se cache, qui est elle-même porteuse d'une culture du raffinement–elle joue du piano, son père est un grand seigneur–et l'être que représente Lacombe Lucien, qui fonctionne plus par des instincts et dans...

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