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  • La longue marche des tirailleurs sénégalais. De la Grande Guerre aux indépendances by Pierre Bouvier
  • Laurent Jolly
Pierre BOUVIER, La longue marche des tirailleurs sénégalais. De la Grande Guerre aux indépendances, Paris, Belin, « Histoire », 2018, 262 p.

L'ouvrage de Pierre Bouvier, sociologue, s'inscrit parmi les nombreuses publications liées aux commémorations du centenaire de la Grande Guerre, en proposant une synthèse des travaux récents ou anciens consacrés aux troupes supplétives levées par la France en Afrique subsaharienne, plus connues sous le terme générique de « tirailleurs sénégalais ». Si l'ouvrage dit vouloir retracer « la longue marche » des tirailleurs « de la Grande Guerre aux indépendances », le premier conflit mondial et ses prolongements dans l'entre-deux-guerres occupent cinq de ses sept chapitres. L'auteur, professeur émérite à Paris Nanterre, est attaché au dialogue interdisciplinaire revendiqué par Socio-anthropologie, la revue qu'il a fondée, à la croisée de la sociologie et des autres sciences humaines. Le plan de l'ouvrage reflète une approche où l'indigène sous l'uniforme colonial est abordé comme un fait social complexe inscrit dans la durée et traversé par des relations de domination multiples. Dans les deux premiers chapitres, Pierre Bouvier traite des prémices des recrutements de supplétifs dans l'empire ouest-africain, puis de la création de la « Force noire », que la Grande Guerre popularise dans l'hexagone. Les chapitres 3 à 5 explorent les conditions de la démobilisation ainsi que les « perspectives de l'assimilation », en somme les acquis de l'expérience de la mobilisation du point de vue du dominé, donc du tirailleur. Ce dernier, subalterne par sa position hiérarchique au sein de l'armée et dans la société coloniale, peut devenir à son retour un relais de la colonisation, et parfois le dépositaire d'une part modeste de l'autorité coloniale, en accédant à des emplois intermédiaires comme garde de cercle ou interprète. Mais cette assimilation fut largement illusoire, ou tout au moins décevante, comme le rappelle le chapitre 6. Après 1945, si les perspectives assimilationnistes s'élargissent, le nouveau contexte international et la maturation de la contestation anticoloniale se conjuguent pour placer les espaces coloniaux dans une nouvelle dynamique, a priori émancipatrice. Les recrues africaines sont alors placées dans une position inconfortable, celle du colonisé sous l'uniforme colonial chargé de maintenir un ordre finissant. Anciens tirailleurs pensionnés et ultimes recrues de l'armée française en Afrique se trouvèrent à la fois refoulés par les nouveaux États et indispensables à l'encadrement des nouvelles armées nationales. Ces aspects, peu abordés pour l'heure par les historiens, compte tenu des délais de communicabilité des archives, sont étudiés dans le dernier chapitre de l'ouvrage.

Il ne s'agit donc pas d'une histoire militaire des unités africaines recrutées par la France. L'objectif est ici d'explorer les zones grises de la colonisation, celles que l'historien Marc Michel, pionnier des recherches sur les tirailleurs de la Grande Guerre, qualifie « d'aventure ambiguë ». Pierre Bouvier s'appuie sur une bibliographie solide, dans laquelle sont mentionnées les principales contributions historiennes en français ou en anglais portant sur les tirailleurs sénégalais, qu'elles soient centrées sur un conflit (Marc Michel pour la Grande Guerre et Julien Fargettas pour le second conflit mondial), ou menées sur une longue période (Myron Echenberg). L'auteur a privilégié le verbatim (p. 12), c'est-à-dire la parole même du subalterne, puisée dans les travaux des historiens qui ont fait des enquêtes de terrain, dans les documents d'archives, ainsi que dans certains ouvrages littéraires, sans que l'on distingue clairement la part du témoignage direct (chez une Lucie Cousturier, par exemple) et celle du souvenir romancé (chez un Bakary Diallo). Privilégier la parole du dominé a également conduit Pierre Bouvier à accorder une place non négligeable aux auteurs noirs ayant servi dans l'armée coloniale, comme Frantz...

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