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  • Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours by Michelle Zancarini-Fournel
  • Nicolas Hatzfeld
Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, La Découverte, « Zones », 2016, 1008 p.

Il existe plusieurs façons de lire l'ample fresque de Michelle Zancarini-Fournel. L'une consiste à entreprendre la lecture au fil des pages et des chapitres. Le choix conduit assez vite à un dilemme. Avec près de mille pages dont plus de neuf cents [End Page 266] pour le seul texte, l'ouvrage présente deux ou trois fois la taille que les éditeurs raisonnables fixent comme maximum aux historiens. Et de fait, il se peut que diverses occupations concurrentes interrompent le lecteur. Quant à l'en détourner, c'est une autre affaire. D'emblée, l'auteure offre le récit de vies engagées dans des péripéties souvent dramatiques, qui composent les plus de trois siècles qu'elle parcourt, de 1685 jusqu'à 2005. Elle installe ce récit dans la fréquentation proche, pour chaque situation évoquée, de groupes et souvent de personnes ayant été tantôt témoins privilégiés, tantôt actrices et acteurs directs des événements racontés. Le dilemme, alors, s'aplanit progressivement : on prend le livre pour se plonger au gré de son agenda, et de façon plus ou moins continue, dans un compagnonnage sur mesure avec le grand récit qui est offert.

La relation de proximité compte pour beaucoup dans l'intérêt du livre. Michelle Zancarini-Fournel annonce avec sobriété dans l'introduction la perspective qu'elle adopte. Tout d'abord, elle entend faire l'histoire du peuple en s'inspirant de la définition qu'en propose Gramsci, à savoir l'ensemble des classes subalternes et instrumentales des sociétés, celles qui subissent une domination à la fois politique et sociale liée au fait de devoir travailler pour autrui. Ensuite, elle veut composer une histoire from below, en se référant à une formule d'E. P. Thompson. Polysémique, la formule peut être interprétée comme le soin de restaurer dans les récits l'expérience vécue par les mondes populaires ainsi que les points de vue des acteurs, propres à donner leur sens aux épreuves qu'ils vivent. De celles-ci, l'historienne fait la part des scènes qui restent silencieuses. La réflexion est exprimée à propos des accommodements feutrés trouvés par une partie des protestants avec les effets de la révocation de l'édit de Nantes, mais vaut pour bien d'autres cas. Elle peut valoir aussi pour nombre d'options de fuite ou plus simplement de départs, qui infléchissent à leur façon des situations en les quittant. Elle court à travers l'ensemble des domaines d'oppression parcourus dans l'ouvrage, et conduit à donner toute leur portée sociale à des drames d'apparence individuelle dont le livre est parsemé.

Enfin, cette liaison entre l'accommodement, la protestation et l'échappée confère aux conflits collectifs et aux répressions qui les jalonnent une valeur qui excède leur propre cas, sans pour autant autoriser des généralisations rapides. Par exemple, les révoltes rurales contre le coup d'État du 2 décembre 1851, les plus puissantes du XIXe siècle, sont vues ici à hauteur de bourgs variés de Saône-et-Loire, d'Ardèche ou du Var, voire de manifestants en personne, dont le sort ultérieur est suivi de près, à côté des associations ouvrières de quelques grandes villes. De manière générale, la porosité et la diversité des modalités de domination présentées font beaucoup pour la richesse de l'ouvrage. Celui-ci rappelle aussi, presque à chaque page, la grande violence par laquelle s'exercent ces dominations, à toutes les époques et sous les formes les plus variées, dans le quotidien de la vie ou dans les moments d'exception. Il montre également les violences de la contestation, et aussi des formes...

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