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Reviewed by:
  • Amblin Partners-Reliance Entertainment-DreamWorks SKGby Sam Mendes
  • Emmanuel Saint-Fuscien
Sam MENDES, 1917, Amblin Partners-Reliance Entertainment-DreamWorks SKG, 2019, 119 min.

Une guerre, un héros, un plan séquence

Le « choc visuel » a été salué par les critiques : le cinéaste Sam Mendes ( American Beauty, Les noces rebelles, Skyfall…) filme la guerre de 14-18 comme s'il n'avait réalisé qu'une unique prise de vue, au-dessus ou aux côtés de deux, puis d'un seul soldat traversant les lignes de tranchées, les avant-postes et les villages ou paysages dévastés par la guerre. Les Lance Corporal(soldats de première classe) William Schofield (George MacKay) et Tom Blake (Dean-Charles Chapman) sont chargés de retrouver sur l'avant-front un bataillon britannique s'apprêtant à tomber dans un piège tendu par l'armée allemande au nord d'Écoust, dans les Flandres. Blake, par ailleurs, a un frère lieutenant dans le bataillon menacé. La prouesse technique – un seul vraifaux plan séquence qui permet au spectateur de suivre les soldats tout au long de leur traversée des lignes – subvertit les représentations de la guerre de position. À l'inverse des postures statiques des hommes dans l'univers clos des tranchées, elle offre un mouvement perpétuel et une improbable pérégrination, hors tranchées et sous le feu, dans un espace aux limites incertaines alternant les zones fortifiées, les avant-postes ravagés, le no man's landdésolé et les territoires détruits.

L'épisode historique dans lequel se déroule l'action semble particulièrement bien adapté à cette expérience cinématographique haletante. En 1917, alors que les armées qui se font face sont profondément enterrées sur un front de l'ouest quasi immobile, les unités allemandes décident un repli tactique – et secret – sur une ligne de défense plus courte et plus solide, la ligne Hindenburg (ou ligne Siegfried) reliant à peu près Lens à Reims, doublée de lignes secondaires. L'opération Alberich, décidée en secret par l'état-major allemand, commence en février et se termine en mars à l'insu des forces de l'entente 57. Il s'agit d'un recul de dix à cinquante kilomètres, qu'accompagne une politique systématique de terre brûlée sur l'ensemble des territoires ainsi perdus : maisons pillées, villages incendiés, bétail abattu, population déplacée, routes et ponts détruits ou rendus impraticables.

Les spécialistes de la Grande Guerre en image ou au cinéma l'ont souligné maintes fois : la mise en scène de la Première Guerre mondiale opère des « transferts de sens 58» d'une époque à l'autre et renseigne autant, et parfois davantage, sur le contexte de la réalisation du film que sur celui de la Guerre. 1917n'échappe pas à la règle. Si l'on trouve ici les attendus de l'univers des tranchées (la boue, les rats, la peur, la mort des hommes et des chevaux, la putréfaction et les blessures), [End Page 262]Sam Mendes exploite aussi les échos contemporains de l'épisode de l'opération Alberich : l'atteinte aux civils, la destruction de l'environnement et, en supplément en quelque sorte, un exploit individuel à la hauteur par exemple de celui de Hugh Glass (Leonardo DiCaprio) dans The Revenant, le film d'Alejandro González Iñárritu (2016).

Le pillage systématique des fermes et des champs, l'abattage des troupeaux, l'incendie et le dynamitage des maisons, le déplacement des populations et les brutalités faites aux femmes et aux familles, dénoncés par les contemporains français du conflit (et qui pèseront dans l'estimation des réparations exigées de l'Allemagne lors du traité de Versailles), suggèrent un invariant du fait guerrier : la violence subie par les populations civiles. Au céur de celle-ci, Sam Mendes souligne la dimension environnementaliste des destructions. La terre est souillée d'acier rouillé, d'épaves de chars, d'armes...

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