In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Quand la bande dessinée fait mémoire du XXe siècle. Les récits mémoriels historiques en bande dessinée by Isabelle Delorme
  • Sylvain Lesage
Isabelle DELORME, Quand la bande dessinée fait mémoire du XXe siècle. Les récits mémoriels historiques en bande dessinée, Dijon, Les presses du réel, 2019, 502 p.

De la collection « Ils ont fait l'histoire » (Glénat-Fayard, 30 vol. parus) à l'« Histoire dessinée de la France » (La Découverte-La Revue dessinée, 5 vol. parus), nombreuses sont les initiatives entreprenant de rapprocher l'histoire académique et les écritures visuelles. Cependant, c'est sans doute au céur de la bande dessinée de témoignage que la question de la puissance historienne de la fiction dessinée se pose avec le plus d'acuité, comme le rappelle avec justesse Isabelle Delorme. Dans cet ouvrage issu de sa thèse, l'autrice défend l'idée que Maus d'Art Spiegelman a initié un tournant, faisant naître « un nouveau genre […], le récit mémoriel historique », qu'elle définit comme « une production écrite et iconique, fondée sur la mémoire personnelle d'un auteur ou de l'un de ses proches, et qui relate un événement historique majeur » (p. 7). S'appuyant sur un corpus de quatorze albums mettant en scène, en général, la quête mémorielle d'un traumatisme lié à l'histoire du XXe siècle (la Shoah dans Maus ou Nous n'irons pas voir Auschwitz, la Seconde Guerre mondiale dans Le carnet de Roger, le génocide rwandais dans La fantaisie des Dieux. Rwanda 1994, etc.), l'ouvrage entreprend de cartographier les contours de cette production : les territoires explorés, les procédés visuels, les méthodes d'enquête des auteurs… Si le corpus prétend à un objectif de représentativité plus que d'exhaustivité (p. 16), on n'aura guère d'éléments sur les critères présidant à son élaboration. Au terme de la lecture, on voudrait en savoir plus sur les conditions d'émergence et de reconnaissance de cette production de romans graphiques affrontant simultanément les territoires de l'intime et de l'histoire contemporaine.

L'ouvrage, et c'est là sans doute sa plus grande force, est abondamment illustré (115 illustrations en couleurs). L'autrice appuie donc ses démonstrations sur des ressources iconographiques qui interviennent directement en regard des analyses, ce qui en fait un outil particulièrement précieux. Il est dommage, cependant, que le corpus reproduit soit si déséquilibré : Retour à Saint-Laurent-des-Arabes de Daniel Blancou, récit qui explore l'engagement des parents de l'auteur comme instituteurs dans un camp de harkis après la guerre d'Algérie, n'est reproduit qu'à trois reprises ; à l'inverse, Maus, pourtant assurément l'éuvre la plus connue, est reproduit à vingtdeux reprises.

Le travail d'Isabelle Delorme se réclame du courant de la postmémoire, tel qu'il a été élaboré – notamment à partir de Maus – par Marianne Hirsch. Elle entreprend, à cet égard, de décortiquer les mécanismes de l'enquête qui amènent ces auteurs à transmettre par le dessin une « injonction mémorielle » (p. 83), généralement familiale. Elle analyse ainsi les modalités de transmission de la mémoire, et la façon dont l'impératif de « véracité subjective » (p. 177) se heurte à une volonté de ne pas heurter ses proches. Surtout, elle esquisse une méthode de description de ces albums : le recours à la photographie ou aux archives privées et publiques, la mise en scène du témoin sont interrogés, pour envisager en fin d'ouvrage la manière dont ces auteurs s'inscrivent ou non dans une démarche proche des paradigmes de l'histoire orale ou de la micro-histoire. Si la portée théorique et historiographique de l'ouvrage paraît limitée, il propose un inventaire utile des thèmes et des motifs de cette bande dessinée qui prend les traumatismes du XXe siècle...

pdf

Share