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Reviewed by:
  • Haïkus de Sibérieby Jurga Vilé et Lina Itagaki
  • Alain Blum
Jurga VILÉ et Lina ITAGAKI, Haïkus de Sibérie, Paris, Éditions Sarbacane, 2019, 240 p. Traduit du lituanien par Marielle Vitureau.

La bande dessinée n'est pas un support nouveau du récit historique. Elle devient cependant plus présente ces dernières années dans cette qualité. Haïkus de Sibérietémoigne de cette tendance, tout en se distinguant par une grande originalité à [End Page 252]plusieurs titres. Il s'agit d'abord d'une bande dessinée publiée en Lituanie et qui vient d'être traduite en français, destinée, selon les auteures, aux enfants (nous y reviendrons). La bande dessinée est pourtant rare dans ce pays, comme dans bien des pays d'Europe orientale. Original aussi, car cet ouvrage porte sur une histoire jamais traitée sous cette forme, à notre connaissance : les déportations staliniennes qui ont frappé en 1941 (puis après la guerre, mais c'est une autre histoire, non traitée ici) les pays annexés par l'Union soviétique à la suite du pacte germano-soviétique d'août 1939. Cette histoire est désormais bien connue, de nombreux travaux l'ayant approchée de diverses manières, que ce soit d'un point de vue politique et institutionnel ou sous la forme d'une « histoire d'en bas » fondée sur les récits de ceux qui subirent ces déportations ou sur des documents d'archives – histoire d'en bas que nous avons nous-même cherché à écrire à partir de témoignages divers 36. Mais elle est aussi écrite sous des formes artistiques, littéraires aussi bien que cinématographiques. L'écrivaine Sofi Oksanen en a fait l'objet d'un roman portant sur les déportations d'Estonie (menées au même moment qu'en Lituanie) ; le film saisissant de Martti Helde, La croisée des vents, en est une autre expression, sans doute la plus originale, même si d'autres films de fiction en traitèrent. Les photographies de Juozas Kazlauskas, publiées par exemple dans Fotografija 37, en sont encore une expression artistique, fondée sur la recherche des traces, allant jusqu'à l'estuaire de la Léna, lieu tragique ancré dans la mémoire lituanienne. De façon générale, les artistes ont parfois été inspirés par la violence du stalinisme, telles ces expositions fondées sur les photos d'identité sorties des dossiers des victimes de la terreur stalinienne.

Qu'apporte alors une bande dessinée, qui part du témoignage du père de l'auteure, déporté tout jeune enfant en juin 1941, comme le fut aussi sa grand-mère ? On aurait pu craindre une expression caricaturale du récit, tant la déportation de 1941 fait office de récit fondateur pour la Lituanie postsoviétique, unifiant tous ceux qui, opposés ou indifférents au pouvoir soviétique, sinon proches de lui, se retrouvèrent après 1989 autour de cette histoire 38. Une caricature portée parfois par une jeune génération, dont le discours très politique se distingue fortement de celui tenu par ceux qui vécurent la violence de ces moments.

Or, rien ici de caricatural. Cette bande dessinée est remarquablement fidèle à l'histoire qui se déroula alors. On serait bien en mal d'y trouver des inexactitudes. Plus, même : certains moments, encore peu connus, sont dessinés et écrits avec une remarquable précision, mettant en scène autant le témoignage que l'archive telle qu'on peut la lire désormais. Ainsi, le trajet de Lituanie vers l'Altaï, qui fut la destination principale des déportations de 1941 ; la seconde déportation de certains déportés de l'Altaï, vers la presqu'île de Trofimovsk sur la mer de Laptev où, essen-tiellement durant le terrible hiver de 1942-1943, environ la moitié de ceux qui y furent envoyés décédèrent : le lieu apparaît au fil des pages par l'intermédiaire d'une lettre du...

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