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Reviewed by:
  • Mademoiselle Haas, and: Comme une rivière bleue, and: Oublier Clémence by Michèle Audin
  • Claire Lemercier
Michèle AUDIN, Mademoiselle Haas, Paris, Gallimard, « L'Arbalète », 2016, 189 p. ;
Comme une rivière bleue, Paris, Gallimard, « L'Arbalète », 2017, 398 p. ;
Oublier Clémence, Paris, Gallimard, « L'Arbalète », 2018, 68 p.

Ces trois livres ont à la fois beaucoup et peu en commun. Une très belle collection chez Gallimard, des protagonistes féminines qu'on n'oublie pas, un ancrage dans l'histoire – pas seulement le passé mais aussi les archives, les imprimés, les photos et les doutes. Mais des tailles et des genres différents : dans Mademoiselle Haas, une vingtaine de « récits » suivent des femmes qui ont ce nom en commun à des moments précis, entre les manifestations du 6 février 1934 et la rafle du 20 août [End Page 236] 1941. Comme une rivière bleue, « roman », est une fresque sur la Commune de Paris aux multiples personnages, connus ou pas. Oublier Clémence, sans genre indiqué, part d'une description sèche, selon l'état civil, de la trajectoire de Clémence Janet, ouvrière en soie morte à Lyon en 1901, à 21 ans, pour parler de cette vie et de son oubli.

Le vrai point commun, c'est Michèle Audin, professeure de mathématiques retraitée depuis peu, membre de l'Oulipo, dont il est facile de découvrir en ligne qu'elle est aussi une pédagogue, une femme de gauche, devenue historienne des mathématiques et lectrice assidue de journaux microfilmés des XIXe et XXe siècles. C'est également la fille de Maurice Audin, mais il serait vraiment dommage de la réduire à cela.

Depuis que je les ai découverts, j'offre régulièrement ces livres, souvent à des femmes, pas toujours à des historiennes. C'est une auteure pour toutes les personnes qui aiment lire ; pas besoin de s'intéresser d'abord aux périodes dont elle parle pour apprécier. Dans Mademoiselle Haas et Comme une rivière bleue, les niveaux de lecture sont multiples. Au premier abord, les personnages sont extrêmement attachants, on les suit de près (surtout quand on connaît Paris), on les voit, on les imagine presque incarnés dans une série. Il n'est pas exclu qu'un éil se mouille au final pour certains ou certaines, alors que le style est tout sauf « tire-larmes ».

Car il y a un style Audin, alors même qu'elle se fait un plaisir de multiplier pastiches et exercices de style. On reconnaît au passage quelques contraintes (il y en a certainement beaucoup d'autres que j'ai ratées) et quelques hommages oulipiens et autres. Mais même sans rien connaître à la littérature, on peut apprécier la variété offerte, dans Mademoiselle Haas, par les nouvelles en forme de description de photo, de témoignage oral, d'article de journal, etc. La plus immédiatement marquante a été pour moi la description de la journée à la chaîne de Léopoldine, inspirée (indique l'auteure en fin de livre) par Simone Weil : « attendre, saisir, relever, retirer, faire attention aux trous, accélérer, ne pas m'exposer à la flamme, enfourner, faire tomber une bobine, […] recommencer, ignorer, produire, ignorer quoi, réfléchir, me brûler, souffrir, ne pas penser, penser à ne pas penser, constater la contradiction, enfourner, baisser, attendre » (p. 50-51). Si vous ne voyez là que de la poésie hermétique, ne passez pas votre chemin : les livres de Michèle Audin sont vraiment parmi les productions oulipiennes les plus accessibles. Mademoiselle Haas s'ouvre avec le trajet de Catherine Haas, une institutrice qui voudrait avorter en 1934 et tombe sur la manifestation : neuf pages de suspense puis d'action violente, subtilement agrémentées d'engagement et d'humour. « Décidément, ce mardi n'était pas un bon choix » (p. 15). Dans Comme une rivière bleue, on peut imaginer dès la première lecture qu'une contrainte mathématique gouverne la description d'un bal (avec ses...

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