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  • Le siècle de la réparation :Entre hainamoration du contemporain et empathie. Une conversation avec Kader Attia
  • Claudia Esposito (bio) and Kader Attia

Kader Attia est l'un des esprits les plus incisifs et créatifs du moment. Artiste de la « réparation » au sens large, il aborde aussi bien les rapports coloniaux historiques, franco-algériens ou autres, que toute forme de hiérarchie et de domination, que ce soit par la force militaire, la force de la pensée ou la force du pinceau. Né en 1970 à Dugny (Seine Saint-Denis), de parents algériens, Attia se tourne très tôt vers le visuel, vers l'esthétique du monde et vers un univers de plus en plus marqué par une philosophie phénoménologique. Diplômé de l'École Supérieure des Arts Appliqués Duperré et de l'École National Supérieure des Arts Décoratifs (1998), Attia tire son inspiration aussi bien de sa formation que de ses expériences vécues dans les rues de la banlieue parisienne et d'Alger. Suite à deux années passées au Congo-Brazzaville, en 1997, Attia s'investit sérieusement et professionnellement dans le monde de l'art. Influencé par l'art non-occidental, ou extra-occidental comme il préfère le dire (dans le titre de son œuvre magistrale, The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures), il lance sa carrière en 2000 avec La Piste d'atterrissage, un diaporama sur la vie de transsexuels algériens à Paris. Son rythme de travail impressionne, et la précision avec laquelle il monte ses expositions témoigne d'une passion manifeste pour ses sujets et pour ses interlocuteurs. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a ouvert, en 2016, [End Page 125] La Colonie, un bar-lieu de rencontre à Paris, destiné à servir d'espace d'échanges artistiques et philosophiques, un lieu « de savoir-vivre » et de « faire-savoir », comme il le note sur l'accueil du site.

Sa production artistique, d'une grande richesse formelle et thématique, se compose de photographies uniques comme d'installations complexes, multiformes et durables, malgré leur caractère parfois éphémère. La façon dont il parvient à faire durer un concept–tel que la réparation, par exemple–tout en créant des installations temporaires est peut-être l'une des caractéristiques les plus frappantes de son œuvre. Ainsi, dans son œuvre controversée Flying Rats (2005), exposée pendant deux mois et demi à la Biennale de Lyon, Attia met en scène une cage peuplée d'enfants aux visages vides, faits de céréales, jouant dans une cour et qui vont être, petit à petit, picorés par une centaine de pigeons qui circulent dans la même cage. Jouant sur la question de la fragilité et la disparition de l'enfance, l'œuvre est emblématique de plusieurs questions chères à l'artiste : la fragmentation de l'être, les ravages du temps, l'emprisonnement physique et psychologique pour n'en citer que quelques-unes. Dans Moucharabieh (2006), Attia met en contact la brutalité policière, fréquente dans le milieu où il a grandi, et l'architecture arabe du moucharabieh. En utilisant des menottes en acier, il crée une œuvre qui nous incite à repenser nos rapports à l'autre, au pouvoir et à l'architecture de et dans nos vies quotidiennes. Mais Attia nous mène bien plus loin grâce au caractère politique et profond de sa pensée, ainsi que l'empathie qu'il éprouve pour l'opprimé, le blessé, le dépouillé. Son ton n'est jamais ni moralisateur ni prétentieux, ses références vont de la boîte de couscous aux textes de Michel Foucault, toujours dans l'optique de décoloniser le savoir.

Cet entretien a eu lieu le 13 septembre 2019 dans un café, lors du passage de Kader Attia à New York à l'occasion de son exposition à la galerie Lehmann Maupin, Mirrors of Emotion (10 septembre-26 octobre 2019). Nous avons commencé cette conversation en évoquant la place de l'écrit dans l'œuvre d'Attia, car je venais directement de l'exposition, o...

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