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  • Introduction
  • Claudia Esposito (bio)

Dans son roman Amour bilingue, Abdelkébir Khatibi écrit :

Un jour, je te raconterai en détail ma solitude à Damas, en pleine nuit, dans un café. J'avais tremblé tout le temps : devant moi, deux clients sourds-muets, un garçon et une fille. Ils dialoguaient avec leur langage gestuel. Leurs mains dansaient. Scène d'amour sourd-muet si extraordinaire, qu'elle avait allégé ma détresse. L'écriture est hantée par sa scène sourde-muette, blancheur de la page handicapant le corps.

(Khatibi 2008 : 221)

En proie à l'inassouvissement, l'écrivain marocain exprime, par son personnage, le désarroi face à l'insuffisance des mots et son désir de geste, de musique, de danse. Le vingt-et-unième siècle a été, et est toujours, marqué par une explosion d'activités artistiques et intellectuelles autour de la tension entre arts et médias, mais aussi entre l'agencement de différentes formes d'expression artistique. Des concepts tels que la remédiation, l'intermedialité, la transmedialité ou encore la démédiation se sont répandus depuis quelques décennies de façon aussi nouvelle qu'hétéroclite. Le Maghreb et les artistes de sa diaspora n'ont pas dérogé à la règle. Si les questions théoriques se posent surtout dans les domaines de l'art, de la philosophie et des études des nouveaux médias dits occidentaux (c'est-à-dire qui émergent principalement des institutions européennes et nord-américaines), il suffit d'examiner la production artistique et littéraire maghrébine même bien avant le 21ème siècle, pour constater que nombre de ces pratiques existent de façon souvent sous-jacente. L'objectif de ce numéro est de mettre en lumière la [End Page 7] spécificité de la création artistique maghrébine afin de faire valoir les marques préexistantes du transmédial et, partant, de mieux comprendre l'esthétique contemporaine de la transmédialité.

Au risque de m'égarer dans un labyrinthe sémantique et technique, nous voudrions d'abord spécifier ce que nous entendons par une esthétique « transmédiale », car le terme circule dans plusieurs champs depuis des décennies. Dans ce numéro, le transmédial désigne une esthétique qui 1) priorise la pluralité, l'agencement et le mélange de formes d'expressivité artistique, qu'elles soient scripturales, picturales, plastiques, sonores ou médiatiques ; 2) opère une dynamique temporelle mouvante entre ses composantes, de sorte que l'œuvre dépend d'un vaet-vient de sens entre ces composantes qui sont parfois pluriformes en soi ; 3) crée une expérience spatiale et temporelle sur plusieurs temps et plusieurs espaces ; 4) exige un degré d'interactivité du public/spectateur au-delà de la simple interactivité cognitive que toute œuvre artistique demande et 5) s'inscrit dans son rapport au réel ; car, si le réel est médiation (sans point d'origine), le transmédial signale que ce réel ne peut pas être cerné par un seul médium et que c'est en fait l'interaction transmédiale elle-même (entre médiums, contenu, spectateur, « consommateur ») qui en produit l'image multiforme. L'œuvre transmédiale n'est donc pas définie par un medium original auquel on viendrait en ajouter un autre ; elle est un assemblage singulier. Il ne s'agit donc ni de la transmédialité dans son sens le plus courant et populaire en ce moment, formulé par Henry Jenkins, qui traite de la « convergence culture1 », ni du transmédial strictement lié aux nouveaux médias2.

Il s'agira dans ce volume de retracer une généalogie autre de la transmédialité qui serait liée au Maghreb–espace déjà fortement pluriel–et à sa production culturelle. Et, de toute évidence, l'histoire des pays maghrébins, bien que protéiforme, joue un rôle incontournable. Partant du concept de « cognitive mapping » de Frederic Jameson, Alexander Galloway, critique des nouveaux médias, écrit : [End Page 8]

Culture is history in representational form… [it is] never a...

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