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  • Les voix1 du désert et de l'exil
  • Henriette Goldwyn

« Je suis par moi-même incapable de parler […] Ô Dieu ! délie ma langue […] afin que je puisse annoncer ta parole et consoler ton peuple affligé »2.

La flambée prophétique embrase le Dauphiné en 1688 et s'étend au midi huguenot3 à la fin du règne du Roi Soleil, avant de s'établir en Grande-Bretagne où, malgré le scandale qu'elle suscite, elle fait de nombreux adeptes. Né du traumatisme provoqué par la révocation de l'édit de Nantes en 1685, ce phénomène d'inspiration—aux influences régionales et de forme orale à l'origine—se convertit, en traversant la Manche et en évoluant vers un millénarisme apocalyptique, en mouvement international investi d'une mission universelle. En outre, c'est à Londres que voient le jour les premiers écrits au sujet du prophétisme cévenol.

Au lendemain de la révocation, sur la scène du « théâtre sacré des Cévennes4 »—terre de Réforme et de résistance—, de nombreux « inspiré.e.s », ou « fanatiques5 » selon les sources, ont prononcé des prophéties en vue d'encourager, de réconforter, d'édifier et de fortifier les réformés confrontés à la brutalité des dragons et aux conversions forcées. Mais, une fois le protestantisme institutionnel restauré6 en 1715–16 par Antoine Court, dénommé « le nouveau Calvin7 », ces voix se sont peu à peu éteintes. C'est pourtant la magie de cette parole inspirée, doublée d'une gestuelle déconcertante, qui sut, dans un premier temps—contrairement aux rites liturgiques—, redonner de l'espoir à une communauté frappée d'interdits, dont l'édifice religieux venait de s'écrouler.

Malgré le caractère pathologique et névrotique qui a souvent été attribué à cette « fureur prophétique8 », je souhaite me pencher sur cette page gommée et si souvent fantasmée de l'histoire protestante. Dans un premier temps, je m'intéresserai à la prise de parole par les prophétesses, ces porteuses d'espoir, et à l'émergence d'un espace d'expression inattendu pour les femmes. Le deuxième axe s'articulera autour de la figure emblématique d'Isabeau Vincent, la première prophétesse. En outre, je mentionnerai également quelquesunes des prophétesses moins bien connues. Puis, j'aborderai le face à face du prophète avec Dieu et l'alliance avec la communauté.

« Je vous donnerai les paroles, et vous les mettrai en bouche9 »

L'interdiction du culte, l'exil des pasteurs, la destruction des temples, la confiscation des Bibles et des psautiers, les conversions forcées, les occupations [End Page 136] domiciliaires par les dragons, l'imposition de la dîme, les emprisonnements, les déportations, les condamnations aux galères, les viols… autant de persécutions qui dépouillent le calvinisme du Dauphiné, du Vivarais, des Cévennes et du Bas-Languedoc de ses références religieuses, culturelles et sociales. Sur ce champ de ruines et de désolation, où l'ordonnance du culte ainsi que le lien avec le Seigneur paraissent annihilés, se lèvent alors, au sein de modestes communautés rurales, la voix—les voix—des prophètes et des prophétesses, car il fallait à tout prix que la parole puisse continuer à circuler. À la croisée de ces bouleversements, alors que tout encadrement spirituel semble disloqué, toute attache identitaire rompue, se dressent ceux qui étaient les moins aptes à la parole, ceux dont la voix ne comptait pas: s'appropriant un « souffle », un langage, un discours—l'énoncé pastoral—, ils réveillent, relèvent et restituent à une communauté traumatisée ses croyances, ses obligations morales, l'appelant à la résistance. Dans sa déposition du Théâtre sacré des Cévennes, la prophétesse et témoin Sarra Dalgone évoque très justement en quoi cette effusion de l'esprit de Dieu qui se manifestait par l'intermédiaire des prophètes et prophétesses avait de merveilleux usages: « Durant ces accès [d'inspiration], ces personnes-là disaient mille belles choses pour porter ceux qui les écoutaient à la vraie et solide...

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