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  • Liban. Mémoires fragmentées d'une guerre obsédante. L'anamnèse dans la production culturelle francophone (2000–2015) by Carla Calargé
  • Mona El Khoury
Calargé, Carla. Liban. Mémoires fragmentées d'une guerre obsédante. L'anamnèse dans la production culturelle francophone (2000–2015). Leiden-Boston, Brill-Rodopi, 2017. ISBN 9789004343603. 233 p.

Indispensable, le livre de Carla Calargé vient combler une lacune dans les études francophones en abordant la mémoire de la guerre civile au Liban (1975–1990) à travers un ensemble d'œuvres artistiques et littéraires de langue française cherchant à contrer l'amnésie officielle de cet épisode douloureux. Produites depuis le début du vingt et unième siècle (moment de convergence thématique et d'accélération dans la production culturelle) par des témoins directs de la guerre—enfants, adolescents, jeunes adultes—, les œuvres examinées témoignent d'un travail d'anamnèse dont Calargé montre brillamment la portée et les limites.

Son analyse liminaire de l'installation "Fractions of memory" (2003), de l'artiste Nada Sehnaoui, exemple d'œuvre propice au dialogue mémoriel et au décloisonnement sectaire, fournit un paradigme aux analyses de l'auteure: celles-ci dévoilent la façon dont les œuvres tentent de recouvrer le passé en inscrivant physiquement ou symboliquement la mémoire dans un lieu emblématique, comme le centre-ville de Beyrouth. Grâce au partage de souvenirs individuels, les lieux sont resémantisés. Contrastant avec la ville reconstruite par Solidere et devenue une "destination de luxe pour la consommation du capital transnational" (28), l'espace (physique ou mental) créé par ces œuvres se conçoit comme "un espace partagé en étroite relation avec l'histoire et la formation identitaire des Beyrouthins" (28). Pour autant, Calargé révèle aussi les limites du travail de mémoire qu'entreprend l'installation de Sehnaoui, ainsi que le reste de son corpus: la puissance de ces œuvres, au demeurant temporaires, se trouve restreinte, en particulier face au bulldozer capitaliste qu'incarne Solidere. Ces tentatives de lien entre passé et présent, contre le vide du traumatisme, ne parviennent à initier ni un devoir collectif de mémoire, ni une implication nationale vis-à-vis de l'histoire. L'obstacle majeur est en effet l'absence totale d'une narration officielle de la guerre: "Comment la mémoire de la guerre peut-elle s'articuler dans l'œuvre artistico-littéraire si elle ne peut [End Page 196] ni contester, ni compléter, ni appuyer aucun récit historique officiel mais qu'elle se déploie dans un vide narratif relatif à la guerre dite civile?" (29). Le livre de Calargé aborde frontalement cette gageure en mettant en valeur les stratégies narratives et visuelles de la production culturelle francophone contemporaine par le biais d'interrogations connexes: comment une œuvre peut-elle être plus qu'un fragment d'un tout inarticulé? Comment dépasser les mémoires communautaires? De quoi l'obsession récente du motif de la guerre dans les œuvres est-elle le symptôme? Ces productions matérialisent-elles un processus de guérison/libération ou au contraire une compulsion de répétition maladive, voire aliénante?

Le chapitre introductif comporte une grande section historique à l'efficacité remarquable, tant l'histoire de la guerre civile libanaise est complexe à résumer. Calargé n'omet aucun aspect permettant au lecteur de contextualiser les œuvres. Elle présente les causes internes au conflit et ses causes externes (régionales et internationales). Est remarquablement bien expliqué le contact diachronique des différentes communautés avec la modernité occidentale qui est à l'origine des crispations identitaires sur le critère confessionnel. Calargé suggère aussi un parallèle fort intéressant entre le néolibéralisme économique post-guerre des gouvernements libanais (aucune régulation étatique) et un néolibéralisme mémoriel (aucun travail d'encadrement officiel de la mémoire) affirmé via la promotion de l'oubli (amnésie officielle) et la déresponsabilisation politique (loi d'amnistie générale).

C'est dans ce contexte d'un passé traumatique "kidnappé par les artisans de la...

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