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Reviewed by:
  • Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain by Caroline Quesnel
  • David Dorais (bio)
Caroline Quesnel, Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017, 250 p.

Même ceux qui s'y connaissent en littérature québécoise n'ont pas nécessairement entendu parler de Jean Le Moyne (1913–1996). Et ceux qui en ont entendu parler l'associent probablement à deux choses: Saint-Denys Garneau, dont il a été l'ami et le promoteur, et La Relève, revue littéraire active durant les années 1930 dont il est réputé être l'un des principaux collaborateurs. À la limite, on se souviendra de Convergences, recueil d'essais paru chez Hurtubise en 1961 et récompensé par de nombreux prix, au point de faire considérer son auteur comme l'un des grands penseurs canadiens-français de son temps. Audelà de ces quelques informations, la figure de Jean Le Moyne reste bien pâle, et pour ainsi dire personne ne connaît vraiment l'étendue de son œuvre ni la teneur réelle de sa pensée. C'est à cette lacune qu'entend remédier l'ouvrage de Caroline Quesnel, Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain. Il s'agit de sa thèse de doctorat, diplôme qu'elle a obtenu en 2016 à l'Université McGill sous la direction d'Yvan Lamonde. Quesnel poursuit un double objectif dans son livre: d'une part, redonner audience à l'œuvre de Le Moyne en explorant le corpus élargi de ses œuvres; d'autre part, situer cet auteur dans son contexte intellectuel en examinant son positionnement idéologique.

Le second objectif est particulièrement intéressant quand on considère la posture mitoyenne de Le Moyne, à cheval sur deux époques (pour faire court: la Grande Noirceur et la Révolution tranquille). Le Moyne s'est placé [End Page 406] dans une position où il a défendu avec conviction des idées chrétiennes à une époque où l'on s'en désintéressait brusquement. L'homme lui-même se voyait comme un « mauvais contemporain » (l'expression est de lui), c'est-à-dire comme quelqu'un qui était en porte-à-faux avec les modes de pensée de son temps. Cet attachement à des concepts intellectuels venus du christianisme pouvait encore être compréhensible et acceptable pour le public et l'institution au tout début des années 1960, quand a paru le recueil Convergences, mais rapidement, la référence à la Bible et aux Pères de l'Église, l'adoption du Christ comme modèle, le recours à des concepts tels que la grâce ou la charité, l'engagement sincère dans un combat spirituel ayant pour enjeu l'accession au Royaume, tout cela a paru suranné. Et le fossé n'a fait que s'élargir avec les années, si bien que Le Moyne, auteur déjà un peu désuet de son vivant, est devenu presque incompréhensible dans le contexte actuel. Pourtant, le christianisme de ce penseur ne l'a pas confiné à l'angélisme: il s'est montré très critique envers le clergé de son temps tout autant qu'envers les lettres canadiennes-françaises. Son orientation religieuse ne l'a pas non plus empêché de défendre des idées progressistes. Ainsi, dans les années 1950 et 1960, il s'est prononcé clairement en faveur d'une plus grande prise en considération de la femme dans la société. Toutefois, quand on considère que son discours féministe était guidé par le modèle de la Vierge Marie en qui il voyait « le plus haut secret féminin qui soit, l'essentiel secret de la femme », on mesure ce qui empêchait Le Moyne de s'inscrire pleinement dans la modernité.

Caroline Quesnel parvient à conserver un équilibre méritoire dans son appréciation du catholicisme de Le Moyne. Elle ne se montre pas sévère envers un tel héritage et n'en tire pas prétexte pour discréditer l'auteur. Elle résiste ainsi à un réflexe historiographique venu de la Révolution...

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