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  • Roman
  • Patrick Bergeron (bio)

Quelque peu assombrie par la disparition de Réjean Ducharme, 2017 demeure une année faste en matière de romans. Une importante couvée d'auteurs—les « primo-romanciers » comme les appellent Bertrand Legendre et Corinne Abensour1—ont offert un premier roman, et le nombre d'écrivains ayant publié un deuxième roman atteint lui aussi des proportions élevées. La mise en abyme—cette « mise en perspective qui consiste à insérer un élément ayant avec le sujet un lien purement thématique ou analogique [dans le] but d'éclairer le sens de l'œuvre2 »—a été un procédé littéraire très prisé. Le printemps érable s'est enfoncé d'un cran dans l'imaginaire collectif, au point où Gabriel Nadeau-Dubois (le co-porte-parole de la CLASSE en 2012) a eu droit à non pas un, mais deux avatars romanesques3. Certains motifs ont suscité différentes déclinaisons: la bête, l'apocalypse, les fantômes… Des enfants (des fillettes surtout) ont disparu de façon tragique et, dans l'ensemble, les principaux thèmes explorés par les romanciers—qui comptent beaucoup d'enseignants dans leurs rangs—n'ont rien de réjouissant, même [End Page 237] si l'humour a été très présent lui aussi: la folie, l'inceste, le vieillissement, la violence domestique, la dangerosité du monde contemporain, sans oublier le sujet qui tend à chapeauter ou déclasser tous les autres cette année, au point où les psychanalystes devront peut-être s'y pencher: la mort.

premiers romans

Si l'on dresse la liste des auteurs ayant publié un premier roman en 2017, on sera surpris—et ravis—de constater que plusieurs d'entre eux sont des femmes. Sur la foi des titres reçus pour la présente chronique, on en dénombre une bonne vingtaine, dont J. D. Kurtness, Élie Maure, Marie-Hélène Larochelle et Anne-Renée Caillé, pour n'en citer que quelques-unes. L'inspiration est souvent sombre (la mort reste l'un des principaux sujets abordés cette année) et la forme se révèle parfois étonnamment maîtrisée, comme le montrent certaines œuvres qui ont rapidement été primées.

On trouve bien, en France, un « Prix de la page 111 »: pourquoi ne pas créer, chez nous, un « Prix du meilleur incipit »? Si un tel prix existait, c'est assurément à J. D. Kurtness qu'il faudrait le décerner en 2017. De vengeance débute de façon percutante par ces mots qui donnent le ton au reste du roman: « Qui n'a pas déjà rêvé de tirer quelqu'un dans la face avec un fusil de chasse? » Ainsi s'ouvre le récit franc et glacial d'une meurtrière qui trace son autoportrait en remontant jusqu'à la découverte accidentelle qu'elle fit, à douze ans, du plaisir de tuer. Sa première victime, Dave Fiset, était un élève de sa classe de 6e année. Ce garçon bête, brutal et malpropre se faisait appeler « le gros Fiset ». Un jour, la narratrice, dissimulée dans un arbre, le surprend en train de se soulager dans un ruisseau. Pour rire, elle décide de l'éclabousser avec une grosse roche. Mais elle vise mal: le projectile atteint Fiset à la tête, l'assomme et provoque sa noyade. Personne ne soupçonnera jamais la fillette. La narratrice emploie le reste du récit à montrer comment ce premier meurtre a façonné son destin de sociopathe. Calculatrice et minutieuse, elle mettra tout en œuvre pour échapper aux soupçons, semblant faire sienne la règle no 1 du tueur-justicier Dexter Morgan dans la série télévisée Dexter: « Don't get caught » (« Ne pas se faire prendre »). Sa physionomie harmonieuse et son emploi de traductrice sont ses meilleurs alibis tandis qu'elle s'enfonce dans la voie du crime. Elle ne choisit pas ses victimes au hasard, mais « fait le ménage » en éliminant des déviants, des pollueurs, des abuseurs et autres gêneurs. Elle ne passe pas pour...

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