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  • Michel Jeanneret (1940–2019)
  • François Lecercle

Le dimanche 3 mars 2019, les études françaises ont perdu l’une de leurs grandes figures. Michel Jeanneret nous a quittés, après quelques mois d’un combat contre la maladie dont il savait, dès le début, qu’il était perdu d’avance. Ceux qui l’ont accompagné, pendant les derniers mois, ne pouvaient manquer d’être impressionnés par le courage tranquille avec lequel il se détachait peu à peu du monde: plaisantant des tours que son cerveau lui jouait, encourageant ses proches — et d’abord sa femme Marian — à se résigner à l’inévitable. Il n’avait pas à se plaindre, disait-il, d’une vie qui l’avait comblé et qui pouvait s’achever sans drame.

De fait, il pouvait être fier d’une vie bien remplie. Né à Lausanne, il a fait ses études à Neuchâtel jusqu’au doctorat. Dès ses années de thèse, il enseigne en Angleterre — où il épouse Marian Hobson et rencontre son ami Terence Cave — à Londres (University College London) puis Cambridge (Gonville & Caius). À partir de 1969, il enseigne la littérature française à l’Université de Genève, aux côtés de Jean Starobinski et de Jean Rousset. Mais il conserve des liens très étroits avec l’Angleterre, puisque c’est à Cambridge que Michel et Marian élèvent leur fils Marc. Accédant au grade de professeur ordinaire en 1976, il assume des responsabilités administratives importantes. Quand, en 2005, atteint par l’âge de la retraite, il est obligé de quitter son poste genevois, il se sent désemparé à l’idée de renoncer à l’enseignement. C’est pourquoi il accepte l’offre de Johns Hopkins University, où il enseignera jusqu’en 2009.

Aussi rapide que brillante, sa carrière a eu un rayonnement international, attesté par de nombreuses missions comme professeur invité aux quatre coins du monde, du Royaume-Uni aux États-Unis, de la France à l’Italie et jusqu’en Chine et au Japon, dans les établissements les plus renommés (Harvard, Princeton, Collège de France, Scuola Normale di Pisa, entre autres). Cette reconnaissance mondiale lui a valu des honneurs de toutes sortes. Il a été membre de sociétés savantes prestigieuses: correspondant de la British Academy, membre étranger de l’Accademia dei Lincei, membre de l’Academia Europaea, et bien d’autres encore. Ses travaux ont reçu de nombreux prix, à Genève (prix de critique littéraire de l’Institut national genevois), en Italie (prix Natalino Sapegno de critique littéraire, prix Antonio Feltrinelli de l’Accademia dei Lincei) et en France (médaille du Collège de France, Grand Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises de l’Académie française).

Son rayonnement dépassait largement le domaine qui était officiellement le sien, la littérature de la Renaissance française, et il a joué un rôle culturel important. À Genève, il a été Président de la Fondation Barbier-Mueller pour l’étude de [End Page 674] la poésie italienne de la Renaissance et membre du conseil de la Fondation Martin Bodmer, où il a été très actif jusqu’à la fin.

De ces prix et décorations, il ne disait mot et peu de gens étaient au courant, parmi ses amis. Plus chères sans doute lui étaient l’estime et l’admiration de ses pairs et la reconnaissance de ses disciples. Ceux-ci disent avec quel mélange de rigueur et de respect il les a guidés, suggérant des pistes, alertant sur les dangers, faisant tout pour les aider à trouver leur voie, sans jamais leur imposer sa propre ligne. Cet intérêt vigilant, il l’étendait à tous les jeunes chercheurs qui croisaient sa route, leur manifestant une curiosité bienveillante et une disponibilité constante, alors même qu’il était surchargé de responsabilités de toutes sortes. Ce souci des jeunes générations et de l’avenir, cette attention au nouveau, l’ont amené à lancer des projets de recherche internationaux, comme ‘Styles et partage des savoirs, 1500–1700’ (2001–05), et à consacrer beaucoup de temps...

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