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Reviewed by:
  • L’Homme Trans. Variations sur un préfixe by Bruno Chaouat
  • Maxime Decout
Bruno Chaouat. L’Homme Trans. Variations sur un préfixe, Paris: Éditions Léo Scheer, coll. «Variations», 2019, 158pp.

«TRANS est le préfixe de notre temps» (11) : lapidaire, la sentence qui sert de point de départ au dernier essai de Bruno Chaouat donne le ton. Le [End Page 337] texte, à la composition et à la pensée libres, progresse à coups de variations successives autour d’un même thème. L’unité de l’ensemble provient de ce préfixe qui suppose une traversée, un passage, un refus des frontières. Le préfixe «trans» est celui «de la transgression des limites», celui qui «affirme l’illimité et l’infini des possibles pour l’homme» (11), cette créature prométhéenne par excellence, depuis toujours livrée aux séductions de l’hybris. C’est pourquoi «l’homme trans est un hors-la-loi» (11), qui en vient à constituer un prolongement presque naturel de l’être humain, «seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est» (12). Tel serait donc «le propre de l’homme» (13). Si bien que, de manière paradoxale, dès qu’il tente de transgresser les contraintes de l’espèce et de transcender les limites de son être, «l’homme ne fait pas autre chose qu’affirmer son humanité» (13). Le vertige se tient là, qu’il s’agisse du transhumanisme ou du projet transgenre, eux qui réfutent toute soumission aux chaînes d’un corps qu’on aspire à dominer, et, pour cela, qu’on n’hésite pas à réifier.

L’Homme Trans ne dissimule dès lors pas ses accents polémiques, en révélant les versants sombres des aspirations trans, replacées dans une société de la consommation et de la marchandisation, dont l’industrie biotechnologique et les laboratoires de la Silicon Valley semblent être le couronnement. C’est là que se délivre la promesse d’une libération totale de l’homme face aux accidents et imperfections de la création. Bruno Chaouat repère avec finesse les accents gnostiques qui émaillent cette métaphysique de la technologie où la création est pensée comme une chute et où «il revient à l’homme ingénieux de la défaire et de la refaire» (34). Si ce n’est que dans ce processus où les hommes se fabriquent eux-mêmes, «agent et patient, sujet et objet s’échangent et se confondent» de sorte que «le fantasme de contrôle total sur le vivant se heurte à cette aporie, que l’homme devient le matériau sur lequel s’exerce la maîtrise qui devait le libérer de toute passivité» (29). Plus encore : «l’utopie transhumaniste vise à tuer la mort. Mais pour tuer la mort, il faut tuer le vivant. En cela consiste son aporie.» (66).

«Transhumain, transgenre, transparence» (11) : ce sont donc ces trois notions à la mode que Bruno Chaouat prend à contre-courant. Pour cela, l’essai les soumet à «la critique de la raison esthétique» (141), en s’appuyant régulièrement sur la tradition littéraire, philosophique ou exégétique. Au sein de chaque variation, l’essayiste oppose à l’homme trans d’autres modèles, souvent inattendus, qui déplacent notre regard et nos certitudes. C’est par exemple à la lumière de l’enfance, de la mortalité, de la mémoire et du temps que le transhumain est réinterprété, et cela en se demandant [End Page 338] ce qu’il adviendrait de la littérature à l’heure du triomphe du transhumanisme, d’un homme enfin libéré des entraves de son corps et de sa nature. «La littérature est-elle possible dans un monde délivré du malheur ? Peut-elle s’accommoder du bonheur manufacturé du meilleur des mondes ? Peut-on s’imaginer d’écrire ou de penser sans l’angoisse du néant et l’appréhension du non-être ?» (44). Ce sont de telles questions que Bruno Chaouat fait graviter autour de Blanchot, Sade, Gunther Anders, Proust, Kafka ou Agamben pour mieux souligner à quel point chacun...

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