Le terrain comme mise en scène dir. by Bernard Müller, Caterina Pasqualino, et Arnd Schneider (review)

La question de la relation entre le chercheur et les participants sur le terrain et ses implications dans le processus de production de connaissances ont été au centre des débats qui ont marqué la trajectoire de l’anthropologie. Le recueil, édité par Bernard Müller, Caterina Pasqualino et Arnd Schneider, aborde ces enjeux d’importance et présente des contributions qui accordent une place centrale aux dimensions performatives du terrain. Les éditeurs proposent dans leur introduction que le rôle du chercheur puisse être assimilé à celui d’un metteur en scène qui, conscient de sa présence sur le terrain, entraîne des participants vers un projet de nature artistique, créatrice ou performative afin que cette expérience et même leur appropriation du projet, les amènent à livrer leurs vécus. En envisageant le terrain comme une prise de risque et en recourant à une heuristique de la performance, les éditeurs et les contributeurs du recueil souhaitent réinventer la façon d’aborder le terrain en anthropologie tout en poursuivant l’exploration de son immense potentiel.

Une des façons de parvenir à générer ce type d’expérience collaborative aura été dans certains cas d’impliquer directement les participants dans un processus qui fera d’eux des créateurs à part entière. C’est dans l’esprit d’une telle démarche que Kathrin Oester et Bernadette Brunner mèneront un projet dans lequel des jeunes provenant de familles défavorisées de Berne-Ouest seront amenés à produire des vidéos où ils joueront leur propre rôle devant la caméra. Ils révèleront ainsi des enjeux qui sont au cœur de leur vie, faisant d’eux des « ethnographes de leur univers » (p. 159) qui guideront les chercheurs vers une réflexion théorique sur l’ethnographie de la performance.

Dans la même veine, Caterina Pasqualino raconte le processus de création qui a mené à la production du film Terra Incognita, un projet qui s’est transformé avec la rencontre des participants. Ces derniers, d’origine gitane et marqués par la crise financière de 2007, contribueront à réorienter le projet vers la création d’une « cérémonie de l’eau » dont les étapes d’élaboration improvisées donnent lieu à des témoignages, des confidences, et des prises de positions politiques qui feront partie intégrante du film ethnographique. L’auteur s’interroge alors sur les conditions d’émergence d’une « contagion émotionnelle » (p. 29) qui s’est produite chez les participants et qui générant enthousiasme et inspiration, les amena à s’engager entièrement dans le projet. Le chapitre de Chiara Ambrosio qui fait suite capture l’univers intérieur des participants mobilisés lors de cette expérience.

Dans Dialogues inégaux, Arnd Schneider explore les « collaborations dialogiques entre l’art et l’anthropologie » (p. 55) lors d’une recherche rassemblant des artistes locaux autour d’un projet de création artistique dans le contexte d’un festival religieux en Argentine. Les étapes du processus collaboratif conduiront les artistes à développer une réflexivité sur le travail de terrain en anthropologie, les amenant même à contester le projet en cours et à pratiquer une « auto-ethnographie », avant que les difficultés économiques finissent toutefois par compromettre leur participation. L’auteur conclut en soulignant l’importance d’être conscient des « déséquilibres » ainsi que des « inégalités dialogiques » (p. 71) pouvant survenir sur le terrain.

Dans d’autres cas, ce sont les circonstances apparues au cours du processus d’élaboration du projet de recherche, ou directement sur le terrain, qui ont amené la possibilité d’une participation de type performative. À ce titre, Bernard Müller évoque les étapes de préparation d’un projet souhaitant intégrer à la fois la création d’une pièce de théâtre et la recherche ethnographique. Cette expérience l’am...