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  • Postface : Le chef océanien et la terre
  • Serge Tcherkézoff (bio)

L’ensemble thématique de ce volume paraît à point nommé. Il souligne à la fois la densité des transformations en cours, qui affecte la position de « chef » dans cette région qu’on appelle Océanie ou Pacifique, et la nécessité de revoir la manière dont l’anthropologie a traité et traite encore cette position sociale. Dans ce qui suit, je m’appuie à la fois sur les articles de ce volume, sur mes propres données concernant un autre archipel voisin, Samoa, et quelques autres publications, récentes ou sous presse.

L’Océanie « lointaine »

Un mot d’abord pour définir la région dont je parlerai ici. Parler de l’Océanie tout court, ou même du Pacifique, peut induire en erreur. Ce numéro, et les comparaisons que je ferai, relèvent seulement de l’Océanie dite « loin-taine » par les archéologues (le peuplement le plus récent venant de l’ouest et qui atteignit les îles qui étaient « lointaines » par rapport à l’Asie du sud-est) et dite de langues « austronésiennes » par les linguistes. On sait à quel point l’« Océanie », ainsi que les noms attribués à ses subdivisions régionales, sont une invention de géographes européens, ne reposant ni sur des regroupements linguistiques ni sur des hypothèses sérieuses de premier peuplement, mais d’abord sur une nomenclature qu’on peut qualifier de continentale par défaut, puis sur des considérations raciales.

On regroupa, à partir du XVIe siècle, dans une « cinquième partie du monde », tout ce qui restait au-delà des quatre continents déjà répertoriés ; puis, au début du XIXe, on décida de l’appeler la partie « océanique » du monde. Dans les mêmes années, on subdivisa en distinguant des « races » suivant les « couleurs de peau », d’où l’invention de la « Mélanésie », etc. Bien plus tard, archéologues et linguistes reconnurent qu’il fallait distinguer autrement. Une partie occidentale ou « proche » (l’ouest de la Mélanésie) et une partie dite alors « lointaine » (partie orientale de la Mélanésie, Micronésie, Polynésie : famille de langues apparentées « austronésiennes ») (voir Cagnasso 2019 ; Douglas 2011 ; Tcherkézoff 2008a). Mon propos ici sera limité à cette deuxième partie.

L’erreur sur la propriété de la terre et les malentendus historiques

Dans cette Océanie-là, il est certain que, hier comme aujourd’hui, il n’est pas d’organisation sociale qui ne fasse pas une place centrale à un statut particulier, que les premiers visiteurs européens nommèrent, selon les cas, « chef » ou « roi ». Cette traduction a immédiatement orienté, jusqu’à nos jours, une interprétation massivement ethno-centrique. En effet, dans la vision occidentale, un « chef » est un homme de pouvoir : une autorité dans le domaine politique, qui certes pouvait avoir une composante « sacrée », « rituelle », etc., mais qui était la source d’une domination sur un territoire et sur la population qui s’y trouvait, la domination sur le territoire étant elle-même considérée comme un droit de propriété.

Ce fut une erreur fondamentale. Ce numéro relève ce point, mais je prendrai l’occasion de cette postface pour le développer. Dans l’Océanie dont nous parlons, la terre n’est pas et n’a jamais été une propriété au sens occidental. Mais elle l’est devenue, ici ou là, à la suite de la spoliation coloniale. La terre (vanua, fanua, fenua, whenua, etc.) n’était pas une chose que l’homme pouvait acquérir, elle était et est encore en bonne partie une matrice qui est la source de vie et des relations sociales. Dans les langues austronésiennes, la marque grammaticale de possession diffère selon que ego est considéré à l’origine du rapport de possession ou au contraire qu’il ne l’est pas. En Samoan, « ma » récolte se dit d’une manière, de même que « mes enfants », ou tout objet acquis, ou encore « ma terre » s’il s’agit d...

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