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  • Les écrivains et la politique en France. De l'affaire Dreyfus à la guerre d'Algérie by Gisèle Sapiro
  • Frédéric Gugelot
Gisèle SAPIRO, Les écrivains et la politique en France. De l'affaire Dreyfus à la guerre d'Algérie, Paris, Éditions du Seuil, 2018, 408 p.

La revendication croissante depuis le XIXe siècle d'autonomie du monde de la culture permet-elle de faire abstraction des enjeux politiques de la création ? Gisèle Sapiro démontre dans ce livre que la littérature n'échappe pas à cette interrogation, de l'affaire Dreyfus à la guerre d'Algérie, accompagnée d'une réflexion plus contemporaine intitulée « Dépolitisation de la littérature ? ». Son ouvrage recueille des articles déjà publiés, mis à jour et organisés selon une progression qui lui donne son unité. Il permet de saisir l'ampleur et la logique de la production de l'auteure et se révèle une bonne entrée en matière à ses recherches inspirées par Pierre Bourdieu – le livre est d'ailleurs dédicacé à sa mémoire : « la théorie sociologique de Pierre Bourdieu […] montre que les choix éthiques, esthétiques et politiques des intellectuels sont étroitement liés, d'un côté à travers les habitus, de l'autre à travers les positions occupées dans l'espace social et dans un champ déterminé » (p. 21).

Le « processus de spécialisation », c'est-à-dire de professionnalisation et d'autonomisation du champ politique comme du champ littéraire, modifie les fondements du magistère intellectuel et les règles de l'intervention de l'écrivain hors du champ littéraire. Pour reconquérir une autorité sociale, les écrivains adoptent des modes d'intervention prophétiques, à l'exemple d'Émile Zola lors de l'Affaire. Quatre types de positionnement se dégagent : le notable, l'esthète, l'avant-garde et le polémiste (p. 88). Les catégories politiques de droite et de gauche ne sont opératoires que « réfractées selon la logique propre du champ et si on introduit d'autres divisions, mondain/bohème, "vieux"/"jeunes", installés/avant-garde, rive droite/rive gauche ». Gisèle Sapiro conclut donc que « l'analyse en termes de "droite" et "gauche" ne peut ni ne doit en aucun cas précéder l'étude des principes de structuration propres à cet univers symbolique, où elle se greffe sur des oppositions préexistantes » (p. 80).

En cernant les implications des écrivains dans la vie publique française, l'auteure rappelle que « les écrivains contribuent à construire et à déconstruire les identités » (p. 13) et produisent des visions du monde concurrentes. Publier apparaît comme une construction sociale qui croise à la fois valeur marchande et esthétique. Même si le monde littéraire a progressivement imposé la primauté de la valeur symbolique sur la valeur marchande, les mots ont un pouvoir idéologique.

Le champ littéraire est donc parcouru de débats sur la responsabilité de l'écrivain, rarement alors de l'écrivaine, sur son rôle dans la société. De quel droit la fiction [End Page 212] peut-elle dire le vrai et le bien ? Au moment où la littérature moderne dissocie Vrai, Beau et Bien, la relation entre la morale de l'œuvre et la morale de l'auteur devient un enjeu essentiel où les auteurs accusés, à l'exemple d'André Gide, défendent la sincérité et la recherche de la vérité de leurs œuvres. Le lecteur est ainsi responsable des leçons d'une fiction. « L'auteur n'est pas un moraliste, mais un anatomiste […]. Les lecteurs […] chercheront la vraie moralité », écrit Zola (p. 237).

Gisèle Sapiro note que « la manière d'être écrivain conditionne la manière de s'engager en politique » (p. 29). La littérature peut légitimer une domination ou porter un potentiel subversif, qui voue l'avant-garde non seulement à dépasser les solutions formelles de ses prédécesseurs, mais aussi à proposer des engagements propres plus radicaux. Ces oscillations entre choix divergents reflètent aussi les conditions historiques dans lesquelles elles s'inscrivent. Apr...

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