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Reviewed by:
  • How Not to Network a Nation: The Uneasy History of the Soviet Internet by Benjamin Peters
  • Larissa Zakharova
Benjamin PETERS, How Not to Network a Nation: The Uneasy History of the Soviet Internet, Cambridge, MIT Press, 2016, 298 p.

Pourquoi étudier des projets avortés ou ceux qui ont à peine vu le jour ? Pour remettre en cause nos certitudes, en particulier celle qui consiste à dire que les origines de l'Internet se trouvent aux États-Unis. C'est ce à quoi s'emploie Benjamin Peters dans l'ouvrage tiré de sa thèse, où il explique pourquoi les projets soviétiques de réseaux informatiques destinés à connecter l'économie et élaborés dès les années 1950 – avant donc le prédécesseur américain de l'Internet, Arpanet – ont finalement échoué. Pour dépasser la vision binaire entre le socialisme soviétique et le libéralisme américain, B. Peters affirme que la raison principale de l'échec des réseaux informatiques soviétiques et du succès américain est que les socialistes se comportaient comme des capitalistes et vice versa : en Union soviétique, la concurrence acharnée et non régulée entre administrations, ainsi que les réseaux de pouvoir informels, ont empêché la connexion de l'économie soviétique, tandis qu'aux États-Unis les généreux subsides étatiques et l'efficacité de la coopération entre les institutions ont profité au développement de l'Arpanet. En se focalisant sur l'histoire des projets de réseaux informatiques civils, le livre, rafraîchissant et provocateur à la fois, remet en cause bien d'autres lieux communs à propos du système soviétique. L'un d'entre eux est le prétendu retard technique de l'Union soviétique. La première machine de calcul électronique en Europe a été assemblée en Ukraine à la fin des années 1940 et au début des années 1950. Depuis le milieu des années 1950, l'armée soviétique disposait de réseaux informatiques connectés à longue distance. Les outils techniques et les compétences nécessaires à la connexion du pays existaient bien alors. L'un des premiers projets de réseaux informatiques devait s'appuyer sur les équipements informatiques disponibles au sein de l'armée soviétique afin de les mettre aussi à la disposition du secteur civil. Si ce réseau n'a pas vu le jour, c'est parce que les militaires ne voulaient pas perdre leurs prérogatives en matière de financements et d'innovations. La vraie histoire des réseaux informatiques soviétiques a donc moins trait aux équipements qu'aux réseaux institutionnels, politiques, économiques et sociaux.

L'autre lieu commun ébranlé est le caractère hiérarchique et vertical du système administratif économique soviétique. En utilisant le terme de Warren S. McCulloch et en analysant les transactions qui accompagnaient la trajectoire de chaque projet technique de réseau, B. Peters insiste sur les hétérarchies qui commandaient au fonctionnement de l'administration soviétique et rendaient la structure verticale formelle inopérante. Le drame des projets d'Internet soviétique était justement lié à l'impossibilité pour leurs auteurs de proposer des réseaux informatiques déconnectés de la structure formelle de l'économie planifiée et centralisée, en dépit des relations de pouvoir. L'Internet soviétique a donc échoué non pas pour des raisons techniques, mais à cause des ambiguïtés profondes entre la pyramide administrative verticale idéale et les relations horizontales réelles, ainsi qu'en raison des désaccords [End Page 173] entre les acteurs responsables de sa mise en place. Selon l'auteur, les réseaux ne sont pas des artefacts, mais des arrangements techniques des relations sociales. Les liens simplistes entre le politique et les systèmes techniques s'avèrent souvent erronés : les réseaux centralisés ont peu à voir avec des États socialistes centralisés, de même que l'électronique a peu à voir avec la démocratie.

Ces idées sont déployées au long de cinq chapitres organisés selon un principe chronologique...

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