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Reviewed by:
  • La musique au pas. Être musicien sous l'Occupation by Karine Le Bail
  • Aurélien Poidevin
Karine LE BAIL, La musique au pas. Être musicien sous l'Occupation, Paris, CNRS Éditions, « Seconde Guerre mondiale », 2016, 440 p.

C'est à la toute fin des années 1990 qu'ont été posés les jalons d'une histoire de « la vie musicale en France pendant la Seconde Guerre mondiale », lorsque le Conservatoire de Paris a accueilli un colloque éponyme dont les actes furent publiés sous la direction de Myriam Chimènes14. Dix ans plus tard, la première monographie consacrée à l'activité des compositeurs sous Vichy était publiée par Yannick Simon15. Musicologues allemands, anglais et américains s'étaient aussi penchés sur le sujet (citons, par ordre de parution et de manière non exhaustive, les travaux de Manuela Schwartz16, de Nigel Simeone17, de Jane F. Fulcher18 et de Leslie A. Sprout19) et c'est ainsi qu'une communauté de chercheurs issus de différentes disciplines (musicologie, histoire, sociologie et science politique) s'est fédérée. En 2013, un ouvrage collectif dirigé par Myriam Chimènes et Yannick Simon, La musique à Paris sous l'Occupation, a offert un bilan et des perspectives pour toutes celles et ceux qui, aujourd'hui, souhaiteraient s'intéresser à la musique et aux musiciens pendant la Seconde Guerre mondiale20. Pour autant, l'ouvrage de synthèse consacré à la vie musicale dans la France des années noires manque toujours à l'appel.

Karine Le Bail a relevé ce défi. Et en choisissant pour sous-titre, « Être musicien sous l'Occupation », elle annonce d'emblée un parti pris historiographique à la croisée des chemins entre l'histoire culturelle, l'histoire sociale et l'histoire [End Page 197] intellectuelle. Spécialiste des professions musiciennes et des pratiques musicales au xxe siècle, l'auteure a bien mesuré toute l'ambition et toute la complexité d'un tel projet : elle propose ainsi d'appréhender la vie musicale par « lieux », le terme étant entendu à la fois comme un espace social (celui des salles de concert où interagissent les publics, les interprètes et les compositeurs) et un espace urbain (celui des institutions où sont promues et encadrées les pratiques musicales, qu'il s'agisse de la formation, de la diffusion ou de la réception). Le parcours du lecteur est donc balisé par une série d'incursions dans trois espaces types : l'espace public du concert (du music-hall à l'opéra, en passant par les associations symphoniques parisiennes et le Conservatoire), l'espace restreint des « salons de collaboration » (p. 15) et l'espace symbolique – parce qu'appréhendé par l'auteure telle une scène immatérielle – de la radio (celle de l'État français, mais aussi Radio-Paris et la BBC).

On l'aura compris, c'est donc bien de musique savante dont il est question dans cet ouvrage qui a, en fait, pour objectif d'étudier les différentes formes de sociabilité musicale au sein des grandes institutions culturelles de prestige placées sous la tutelle de l'occupant et/ou de Vichy entre 1940 et 1944, même si l'auteure ne s'interdit pas quelques incursions dans le domaine de la chanson et du jazz. Dès lors, Karine Le Bail a structuré son récit en prenant appui sur des problématiques dont cette revue s'est déjà fait l'écho par le passé21 : « est-ce que jouer engage ? » ou encore, « peut-on parler d'une musique "collaboratrice" ou "résistante" ? » (p. 11).

Composée de trois chapitres, la première partie de l'ouvrage rappelle le rôle joué par l'occupant dans l'organisation de la vie musicale en France, dès les premiers jours qui ont suivi la signature de l'armistice. En effet, les Allemands souhaitaient prendre leur revanche sur la « situation prééminente » de la France dans le domaine de la culture (p. 32). Consacré au souci constant des autorités d'occupation de neutraliser l'utilisation politique de l'art, le premier chapitre fait une entorse...

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