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Reviewed by:
  • La véritable histoire de la Belle Époque by Dominique Kalifa
  • Anne-Emmanuelle Demartini
Dominique KALIFA, La véritable histoire de la Belle Époque, Paris, Fayard, 2017, 296 p.

La Belle Époque : l'expression désigne les quinze premières années du XXe siècle, perçues comme une période phare de la création et de la modernité, un moment prospère et heureux de l'histoire de France, emblématique d'un art de vivre « à la française ». Le Moulin Rouge et son french cancan, Aristide Bruant et le cabaret du Chat noir, la Belle Otero, Toulouse-Lautrec et la Goulue, Picasso, Chagall, les pavillons de l'exposition universelle, flonflons, froufrous, glamour, bottines à bouton, etc., c'est une période et un flot d'images bien connus de tout un chacun, qu'il soit étudiant d'histoire, familier des découpages chronologiques des manuels universitaires, ou visiteur cultivé des rétrospectives organisées périodiquement par le Grand ou le Petit Palais.

Alors, en quoi peut donc bien consister une « véritable histoire » de la Belle Époque ? En consacrant son dernier livre à une période dont il est un excellent connaisseur, puisqu'il a commencé à l'arpenter avec sa thèse de doctorat publiée il y a une vingtaine d'années chez le même éditeur (L'encre et le sang. Récits de crime et société à la Belle Époque, 1995), Dominique Kalifa nous offre une histoire indirecte de la Belle Époque. Le « véritable » objet du livre, en effet, n'est pas la Belle Époque elle-même mais la manière dont elle a été pensée, mise en scène et revisitée au cours du temps : pas une période historique mais un imaginaire. Ce livre, en ce sens, est une nouvelle étape dans une recherche de longue haleine commencée avec l'imaginaire du crime (les premiers travaux de l'auteur sur les représentations du crime, les faits divers et les détectives privés), poursuivie avec l'étude d'un imaginaire social et spatial (Les bas-fonds. Histoire d'un imaginaire social, 2013). Avec La véritable histoire de la Belle Époque vient le tour de l'étude d'un imaginaire temporel et historique. Comment est né, a cristallisé, s'est modifié et réinventé l'imaginaire de cette période faste et fondatrice ? Quelles en sont les formes, mais aussi les usages et les fonctions ? [End Page 192]

Faire l'histoire de cet imaginaire invite à retracer en premier lieu l'histoire de l'expression de « Belle Époque » elle-même, c'est-à-dire finalement à mettre au centre de l'analyse ce que les linguistes appellent un chrononyme, soit un « nom du temps » qui finit par s'imposer pour définir l'identité d'une période. Et cette histoire s'avère surprenante. Contrairement à « fin-de-siècle », « Belle Époque » n'a pas été forgée par les contemporains pour dépeindre leur temps : il s'agit d'« une catégorie rétrospective et immédiatement nostalgique, destinée à pleurer "le monde que nous avons perdu" » (p. 16). Mais contrairement aussi à une idée reçue, la fortune de l'expression ne naît pas au lendemain de la Première Guerre, dans la nostalgie du temps heureux qui l'a précédée : la poussée de vie des « années folles » n'incline guère à la nostalgie pour l'ancien. La décennie des années 1930 s'avère, elle, plus décisive. 1900 de Paul Morand, paru en 1931, sorte de pamphlet qui pointe la stupidité d'une époque, est le premier ouvrage à identifier clairement ce moment particulier. Il joue un rôle essentiel dans l'engouement qui se manifeste pour une période qu'on appelle alors « l'époque 1900 » : elle commence à nourrir la nostalgie, parallèlement au sentiment de crise qui s'ancre dans ces années où l'avenir de l'Europe s'obscurcit.

La véritable invention de « la Belle Époque » s'effectue dans le creuset de la Seconde Guerre mondiale qui ouvre une séquence de vingt ans, marquant le triomphe de...

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