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  • L'économie à l'épreuve de l'art. Art et capitalisme dans les années 1960 by Sophie Cras
  • Léa Saint-Raymond
Sophie CRAS, L'économie à l'épreuve de l'art. Art et capitalisme dans les années 1960, Dijon, Les Presses du réel, « Œuvres en sociétés », 2018, 98 p.

Tout comme le parcours de son auteure, maîtresse de conférences en histoire de l'art à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et diplômée de finance à Sciences Po Paris, l'ouvrage de Sophie Cras fait preuve d'une grande originalité méthodologique car il croise avec brio l'histoire de l'art et l'économie, de la fin des années 1950 au début des années 1970. Le choix de cette période n'est pas anodin : selon l'auteure, celle-ci correspond à la fin de l'exclusion mutuelle entre l'art et l'économie. Certains artistes interrogèrent explicitement, dans leurs œuvres, l'actualité économique de la seconde moitié des Trente Glorieuses – l'affirmation triomphante de la propagande capitaliste, les premiers signes d'écroulement du système de change-or mis en place par les accords de Bretton Woods et la croissance sans précédent du marché de l'art. Cette interrogation n'était pas une simple représentation, mais bien une critique réflexive et vivante de l'économie, une véritable « mise à l'épreuve » dans la création artistique. L'étude de Sophie Cras révèle ainsi comment les artistes de cette période s'emparèrent de la dimension visuelle et plastique de l'« esprit du capitalisme », et portèrent un regard lucide sur leur propre statut, au sein du marché de l'art.

Cette problématique est déclinée selon treize études de cas qui couvrent le spectre des principales avant-gardes artistiques, de la fin des années 1950 au début des années 1970 à New York, Paris, Turin, Cologne et Düsseldorf – les Nouveaux Réalistes, le pop art, l'Internationale situationniste, l'art conceptuel, la performance et le mail art. Tout en sollicitant une large bibliographie d'économistes et de sociologues – Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx, Léon Walras, John Maynard Keynes, Georg Simmel, Max Weber, Milton Friedman, André Orléan, Viviana Zelizer, Luc Boltanski et Ève Chiapello – Sophie Cras revendique une approche traditionnelle en histoire de l'art, reposant sur l'analyse formelle et minutieuse des œuvres, et « s'écarte des nombreux et riches travaux de sociologie, d'économie et d'histoire culturelle du marché de l'art qui […] demeurent extérieurs aux œuvres d'art qui n'apparaissent qu'au titre d'illustrations » (p. 12).

L'ouvrage est articulé autour de quatre chapitres thématiques. Le premier, intitulé « Estimer l'inestimable », analyse la notion de valeur, interrogée et critiquée dans les œuvres d'Yves Klein, de l'Américain Edward Kienholz et de l'artiste italien Giuseppe « Pinot » Gallizio, membre de l'Internationale situationniste. Le deuxième chapitre décortique les Dollar Bill Paintings d'Andy Warhol et les French Money Paintings de Larry Rivers, qui interrogèrent les mécanismes du papier-monnaie comme instrument de l'échange reposant sur la confiance. Dans le troisième chapitre, l'auteure explore comment certains artistes conceptuels, comme Bernar Venet, Dennis Oppenheim, Dan Graham, Les Levine, Lee Lozano et Robert Morris, se saisirent des marchés financiers, en intervenant directement dans le processus spéculatif, en [End Page 185] élevant l'investissement boursier au rang d'œuvre d'art et, ainsi, en critiquant la transformation du marché de l'art. Enfin, le quatrième chapitre étudie la notion de commerce dans les œuvres de Ray Johnson, relevant du mail art, et dans la Section financière de Marcel Broodthaers.

Parmi les études de cas, une des plus convaincantes est celle des Dollar Bill Paintings, réalisés en 1962, emblématiques du pop art. Sophie Cras ôte leur caractère d'évidence, repris dans les monographies consacrées à Andy Warhol : les Dollar Bill Paintings ne sont pas de simples reproductions de dollars qui témoigneraient d'une fascination pour l'argent et pour la...

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