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  • Des passerelles faites de mots
  • Fouad Laroui (bio)

Comme Brichot, cet insupportable personnage de Proust qui étale sa culture dans les dîners en ville, j'adore découvrir l'étymologie des mots que j'emploie ou que j'entends pour la première fois – mais j'espère être moins pédant que ledit Brichot… L'une de celles qui m'ont le plus enchanté concerne le mot « pontife ». Je crois que je m'y suis intéressé au moment où le pape Jean-Paul II visitait Paris, en 1980. Pourquoi l'appelaiton « Souverain pontife » ? J'ai alors découvert que le mot venait de pons (chemin, pont) et fex qui vient de facio (faire). En somme, le pontife, c'est celui qui construit des ponts. Il faut laisser à Sa Sainteté le soin d'en jeter entre Dieu et les hommes mais moi, j'étais à l'époque jeune étudiant à Paris, à l'Ecole des Ponts et Chaussées – ça ne s'invente pas ! – et c'est pourquoi je me sentis alors investi d'une mission plus terre-à-terre : jeter des ponts entre les deux cultures qui me sont miennes. À vrai dire, ce ne fut pas une épiphanie mais un sentiment qui se fit jour petit à petit, à mesure que j'avançais dans l'exploration étymologique et que je pris l'habitude de l'étendre à la langue arabe. Comparer l'idiome de Voltaire et Kourouma avec celui de Moutanabbi et Mahfouz, c'est s'enfoncer dans une forêt magique. Ce que je découvrais était fascinant.

Quelques exemples.

Avarie

Ce mot, dans le sens de « dommage subi par un navire ou par son chargement », vient de l'arabe `awar qui signifie « défaut, imperfection ». Le mot est passé dans le sabir des marins de la Méditerranée puis dans la plupart des langues européennes : avarie en français, average en anglais, avarij en néerlandais, etc. Mais `awar a aussi donné le mot `awra qui signifie « parties génitales ». On laissera de côté la bizarrerie étymologique qui associe la partie du corps la plus vitale, sans laquelle l'humanité n'aurait jamais existé, à un défaut. L'affaire devient [End Page 23] rapidement plus étrange. Les penseurs islamiques étaient tous d'accord pour prescrire que les femmes couvrent leur `awra. Mais où s'arrête celleci ? Au bas-ventre ? Au nombril ? Et que dire de la poitrine ? Et des cuisses ? Tout juriste qui voulait être plus strict que son prédécesseur étendait un peu plus la surface de la `awra. Jusqu'à l'apothéose, ce juriste qui décida un jour que tout le corps de la femme était `awra ! En d'autres termes, la femme n'est rien d'autre qu'un sexe… Cet obsédé en tira la conclusion qui s'imposait : tout le corps de la femme doit être couvert. La burqa était née… Tout cela est plus logique que ça n'en a l'air. Si les femmes – ces diablesses – laissent apparaître le moindre centimètre carré de leur corps, c'est toute la société qui subirait une grave avarie qui ne manquerait pas de la conduire au naufrage…

Barack

Toutes les langues sémitiques connaissent la racine trilittère b-r-k qui signifie quelque chose comme « sacré » ou « béni ». On la trouve même en malais sous la forme bierek – le malais n'est pas, bien sûr, une langue sémitique mais a beaucoup emprunté à l'arabe des commerçants et du Coran. Spinoza, sans doute le plus attachant des philosophes, avait comme prénom Baruch – et non Benedictus, qu'on trouve parfois dans la littérature et qui n'est jamais que la latinisation (par Spinoza lui-même) de l'hébreu baruch (« béni »). Espérons que l'ex-Président des États-Unis est devenu aussi sage que l'humble et génial polisseur de verres qui fut le premier à prôner la laïcité.

En néo-araméen, la langue du Christ, on disait birakha. Si Obama voit un jour la Vierge Marie lui apparaître, c'est dans cette langue qu'elle lui parlera, et non en anglais...

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