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  • Le Groupe fait du/de bruit:Communication et communauté dans Mort de quelqu'un de Jules Romains
  • Macs Smith (bio)

Presque oublié aujourd'hui, Louis Farigoule, dit Jules Romains, (1885–1972) jouissait pendant sa vie d'une renommée internationale. Né dans la Haute-Loire, il passa la majorité de sa jeunesse à Paris, ville qui allait l'obséder. Au Lycée Condorcet il se tourna vers la poésie et adopta son nom de plume. On le considérait un étudiant brillant et à l'École Normale Supérieure il obtint deux licences, en lettres et en physiologie. Cette éducation pluridisciplinaire ne serait pas sans influence sur ses travaux littéraires et philosophiques, qui concernent souvent les limites et les capacités latentes du corps humain1. En 1904 il publia son premier livre de poésie, L'Âme des hommes, et l'année suivante une sorte de manifeste pour une philosophie baptisée l'unanimisme. L'unanimisme était une idéologie millénariste prévoyant une révolution qui mettrait fin à l'individualisme et ferait naître un âge dominé par des groupes éclairés. Romains voyait les racines de cette révolution dans les avancées technologiques qui à son époque se répandaient dans les grandes villes. Ni le livre de poésie, ni le manifeste n'attirèrent l'attention du public, mais Romains eut du succès en [End Page 764] 1908 avec un texte hybride : La Vie unanime, livre de poèmes sur des thèmes unanimistes. André Gide en écrivit un compte rendu favorable dans le premier numéro de la Nouvelle Revue Française et la carrière du jeune écrivain fut lancée2. Romains fut agrégé de philosophie en 1909 et devint un vrai homme de lettres, reconnu pour ses romans – surtout Les Hommes de bonne volonté (1932–1946), fresque balzacienne de la vie parisienne – comme pour ses pièces de théâtre – Knock ou le triomphe de la médicine (1923) fut créé par Louis Jouvet (et dans une adaptation cinématographique de 2017 le rôle principal fut joué par Omar Sy; les œuvres de Romains ne sont pas toutes oubliées). Il présida le PEN club avant la deuxième guerre mondiale et fut élu à l'Académie Française en 1946.

La carrière de Romains fut longue et féconde; toutefois, la plupart de ses travaux font partie d'un seul projet. L'unanimisme est leur fil rouge. Les textes de Romains, qu'ils soient romanesques ou poétiques, s'efforcent presque tous de représenter l'unanime et, d'une manière plutôt obscure, de le déclencher. Le poète, observateur privilégié, est seul capable de percevoir les flux des nouveaux esprits collectifs. À lui, donc, incombe la tâche de sensibiliser ses prochains à leur existence. Les œuvres littéraires de Romains ne sont pas seulement liés à sa philosophie mais en sont aussi la matière même.

Cette proximité pose un dilemme herméneutique intéressant. Au premier abord, la centralité de l'unanimisme à ces ouvrages semble simplifier la tâche du lecteur en réduisant la critique à une besogne de recensement des liens et des décalages entre le texte et l'unanimisme3. Pourtant, une telle approche nécessite que le lecteur possède au préalable une définition de l'unanimisme à laquelle il peut comparer le texte du poème ou du roman. Ceci est impossible. Le « manifeste » mentionné ci-dessus, Les Sentiments unanimes et la poésie, nous renvoie à la poésie pour toute explication de la philosophie et Romains avait du mal lui-même à expliquer comment se formait la conscience de groupe, dont il était l'apôtre. Ses efforts d'en élucider le processus tendent souvent vers une religiosité peu satisfaisante. Ce n'est donc qu'à travers les textes littéraires que l'on peut connaître l'unanime. Cela veut dire que les principes de cette philosophie sont aussi difficiles à préciser et aussi contestables que le sens d'un poème, et il n'est pas surprenant que Romains se sentît parfois mal compris. Le [End Page...

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