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  • Masculinité et médiation narrative dans l' Heptaméron de Marguerite de Navarre
  • Teodoro Patera (bio)

Le genre de la nouvelle à la Renaissance se prête de manière particulière à une analyse qui vise à éclairer le rapport entre les dynamiques socioculturelles de production de la subjectivité et le récit. Comme l'ont indiqué Gary Ferguson et David LaGuardia dans leur préface à Narrative Worlds, le fait de proposer dans les recueils de nouvelles certains types d'histoires de manière répétitive indique que ces histoires révélaient aux écrivains comme aux lecteurs des constantes significatives à l'égard de leur identité:

By consistently repeating the same kinds of stories, the fifteenth- and sixteenth century nouvellistes perhaps revealed something that was fundamental to their identities […] The same could be said for the collective identity of a culture, which requires that stories be told and listened to constantly, producing a version of events that is an abstract accompaniment to the material world on which these stories comment.

(Ferguson et LaGuardia 6–7)

Plus particulièrement encore, nous retrouvons dans l' Heptaméron de Marguerite de Navarre, recueil inachevé paru pour la première fois en 1558, une véritable mise en scène du rapport du sujet au récit. Premièrement, les devisants, en choisissant l'objet de leurs récits, dévoilent une [End Page 673] perspective épistémologique et éthique sur le monde; ils exposent un microcosme subjectif et une position axiologique dans l'enchevêtrement de récit et trouble du désir1. Raconter, c'est une manière de se « descharger le cueur ». Comme l'a souligné Gérard Defaux, la métaphore indique comment les devisants « s'investissent, se projettent et se logent dans ce qu'ils racontent » (144). Si « la règle principale de la narration […] proscrit toute révélation personnelle directe et fait de l'espace narratif celui du masque et du secret », cela n'empêche que, au fond, tout acte narratif se révèle être autobiographique, même sans prévoir un « rapport simple, direct, concret entre le contenu de ce qui est narré et le "bios" du narrateur » (Regosin 45). Deuxièmement, l'histoire choisie fait l'objet d'un débat qui dévoile l'enjeu polyphonique du recueil, la rencontre de visions antithétiques, la complexité du rapport entre sujet et sens. La compréhension de la réalité humaine se produit pour les devisants dans et à travers une médiation narrative, une opération d'écoute, lecture, narration, déchiffrement2. Ils sont non seulement les narrateurs et les destinataires des nouvelles qui figurent dans le recueil, mais ils ont, en outre, lu les histoires racontées dans le livre du monde, dans le « second Livre » que Dieu a offert aux hommes (Curtius vol. II, 33) car, à la différence du Décaméron de Boccace, on raconte dans l' Heptaméron des histoires vraies dont les narrateurs ont été les témoins directs ou indirects (Marguerite de Navarre 15). L' Heptaméron nous offre ainsi le paysage d'un monde-texte, où il n'est question que de lire et écrire l'existence à la recherche d'un sens, dans une sorte de symbiose entre vie, lecture et écriture. Dans la vision du monde proposée dans cet ouvrage, « être » signifie « être-dans-le-récit » et le sens des actions humaines est à percer dans une herméneutique textuelle (Le Cadet 318–24). Marguerite de Navarre nous laisse entrevoir la construction d'une véritable anthropologie de la narration, où l'identité humaine ne peut se concevoir que comme une identité mise en récit, comme forme en mouvement traversée et façonnée par une performance narrative3.

Dans ce jeu de la médiation narrative, dans ce processus de projection du sujet dans un univers narratif qui est une projection dans une possibilité de l'existence, dans une autre possibilité de soi, le discours sur le gender joue un rôle de premier plan. Il est notoire que, [End Page 674] dans cet ouvrage, il est surtout question du rapport problématique entre les sexes, voire de guerre...

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