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  • Une femme d’encre et de papier à l’époque des Lumières: Henriette de Marans (1719–1784) éd. par Mathilde Chollet, Huguette Krief
  • Marie-Laure Girou Swiderski (bio)
Une femme d’encre et de papier à l’époque des Lumières: Henriette de Marans (1719–1784), éd. Mathilde Chollet et Huguette Krief
Presses Universitaires de Rennes, 2017. 470pp. €32. ISBN 978-2-7535-5517-4.

Cet imposant volume, richement illustré, offre au public l’ensemble des journaux inédits de Henriette de Marans, aristocrate vendômoise. Soumise à une mère peu aimante, puis à un beau-père rigide, mariée à 36 ans seulement, c’est dans de rares moments dérobés à sa vie austère que Marans peut assouvir sa passion d’écrire et d’œuvrer intellectuellement (traduction de Térence ou essais d’études scientifiques). La plupart des sujets qui la passionnent: philosophie, religion, étude de la société lui sont interdits en tant que femme. Dotée d’un caractère indépendant, elle doit pourtant remplir les devoirs mondains de son rang et tenir la maison d’un mari joueur qui les ruine peu à peu. Elle voulait écrire [End Page 377] dès l’adolescence mais c’est entre 1752 et 1768, de 33 à 49 ans, qu’elle composera, enfin, en secret, trois journaux totalisant plus d’un millier de pages (voir, dans le Mémorial, « Histoire de mon esprit de 12 à 16 ans », 203–7).

En les parcourant, on voit évoluer sa pratique de l’écriture. Le premier « Mémorial à mon usage particulier » (1752) est le plus surprenant. C’est d’abord un aide-mémoire; elle y consigne, entre autres, des recettes de remèdes, l’alphabet maçonnique et un code pour correspondre secrètement, des poèmes, un portrait, le calendrier de l’Histoire universelle et 25 pages de « Réflexions ». Le second, « Réflexions journalières en 1753–1754 », contient, parmi d’autres, les textes choisis publiés dans les Pensées errantes. Quant aux 56 chapitres des « Confidences générales et particulières », plus tardives et jamais publiées, ils offrent des textes souvent intimes, des réflexions morales et des chapitres portant sur des sujets d’actualité ou des problèmes philosophiques. Malgré sa surprenante diversité, l’ensemble forme une œuvre dont l’unité tient à son écriture bien particulière.

Les éditrices présentent les Journaux en deux étapes. Avant de reconstituer le cadre matériel de l’écriture; lieu, mobilier, outils, volumes, la première partie présente Henriette de Marans. De bonne noblesse de province, elle compte parmi ses proches des gens qui écrivent et a reçu, aux côtés de ses frères, une excellente éducation; elle sait bien le latin. La seconde partie situe l’auteure dans le contexte intellectuel des Lumières et analyse minutieusement les grandes questions sur lesquelles elle s’interroge, s’instruit et prend souvent des positions audacieuses. L’ajout d’un cahier d’une trentaine d’illustrations: portraits de famille, cartes, clichés des ouvrages et des demeures fréquentées par Marans, permet au lecteur de découvrir en détail la vie de Marans et son expérience de l’écriture, et révèle ses autres talents, dessins, poésies, chansons, musique.

L’introduction s’achève sur une révélation: Marans est l’auteur des Pensées errantes attribuées à Bonne-Charlotte de Bénouville (voir Pensées errantes, éd. Huguette Krief [2014]). La première partie, la “Préface qui contient tout” rassemble des textes tirés des deux premiers journaux, le « Mémorial » et les « Réflexions ». À la différence des Pensées errantes où chaque entrée se suffit, dans les Journaux, les pensées imprimées sont flanquées d’un nombre égal d’entrées non retenues qui en modifient la portée. Dans les Pensées, tout ce qu’on sait de l’auteure vient des textes. Les Journaux, eux, offre trois portraits de Marans dont la précision influe sur la lecture de ses textes.

Entre 12 ans et 16 ans, elle avait déjà essayé tous les genres possibles; on retrouve encore, jusque...

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